LES XIQUES

 

 

Une des caractéristiques de Nouvelles Hybrides est l’introduction de nouveaux mots, auxquels – comme c’est bizarre – les auteurs semblent vouloir attacher des pensées, et même – comme c’est étrange – des pensées nouvelles elles-aussi ! La lectrice ou le lecteur dont la cervelle a mariné dans la marmite de la sagesse classique sait que les néologiseurs ont toujours tort (et particulièrement ceux qui ne sont même pas fichus de dire comme tout le monde les « inventeurs de néologismes » ou, comme tous les un peu moins nombreux disciples de Barthes et Genette, les « forgeurs de néologismes »), que ce sont des esprits faux qui essaient ainsi de se faire passer pour supérieurs, et qu’il ne convient pas de prêter la moindre attention à leurs excentricités linguistiques. Mais celui ou celle qui n’a pas eu le privilège d’une telle préparation demandera peut-être ce que signifient les éléments de ce nouveau lexique, et comme nous écrivons également pour être lus et, qui sait, compris, voici une esquisse de dictionnaire, avec les indications des publications dans lesquelles ces nouveaux termes sont plus amplement expliqués et justifiés :

 

Atopotaphysique : la physique de ce qui dans la Nature comme dans l’art semble ne pas avoir une nature. L’ornithorynque, le corail, les plantes carnivores, le pingouin, le Néron, le Lupin (Arsène), qui relèvent simultanément de genres contradictoires, sont par excellence des êtres atopotaphysiques. Il convient de distinguer l’atopotaphysique poétique, art d’engendrer, par voie extra-biologiques, des êtres ou des choses qui, échappant plus ou moins traiteusement au principe d’identité, se trouvent dans l’incapacité de présenter leurs papiers aux contrôles de la police de l’imaginaire, l’atopotaphysique pratique, qui consiste à vivre de manière non aristotélicienne (empereurs qui font couronner leur cheval, travestis, transsexuels, …) et l’atopotaphysique, qui est la science de ce qui imaginaire ou réel, échappe à toute classification, et donc à tout autre science qu’elle même.

Burlesque : invention comique qui fait se succéder à un rythme très accéléré les gags les plus inattendus et les plus invraisemblables. Il ne s’agit pas ici d’un néologisme, mais d’un terme qui est généralement compris de travers : Arne Saknüssemm a montré déjà dans ses Prolégomènes tératopoétiques (NH2) que ce que Baudelaire nomme dans son essai sur l’essence du rire « grotesque » puis « comique absolu » doit être compris comme ce que nous appelons « burlesque » (l’exemple qu’il relate longuement d’une pantomime anglaise fantastique semble tiré d’un film des Marx Brothers) ; comme s’il avait lu les saknüssemmeries sus-citées, Henri Anri, dans leJournal de la Berlu du n°5, a montré que les « commissaires » de l’exposition de « burlesques contemporains » qui s’est tenue au Jeu de Paume pendant l’été 2005 n’avaient pas compris grand-chose à leur sujet, car ils ne distinguaient pas « grotesque » et « burlesque » – le n°6 y est presque entièrement consacré

Charagélologie : science de la grâce humoristique. L’essai « De quelques difficultés à utiliser l’échelle à mesurer le poids de la grâce », qui occupe presque un tiers du n°4, est un essai de charagélologie (à ne pas confondre avec la chara-agélologie, qui étudie la grâce pas drôle ; mais un bon charagélologue est toujours aussi un bon charaagélologue, comme la lecture de n’importe quel conte d’Alphonse Allais vous en convaincra immédiatement)

Éléphantologie : art de promenades pachydermothématiques, rhapsodiques et érudites, à travers âges et pays, témoignages, fictions et représentations, cuisine et alimentation, érotisme et religions, … (la Varejka elephant travel agency a le monopole de ce genre de voyage cognitivo-imaginaire, mais pour combien de temps encore ?) ; chaque numéro de Nouvelles Hybrides se termine par un parcours éléphantologique, dont le thème est en général accordé à celui du n°

Excentriques de gravité artistes qui cultivent délibérément leur folie, avec l’idée mal démontrable qu’elle contient une autre sagesse, dont les gens qui sont mariés avec leur sagesse n’ont pas idée – Ayant constaté qu’un relativement grand nombre d’artistes contemporains suivaient ce genre de démarche paradoxale, le docteur Étienne Cornevin, qui se mêlait encore d’organiser des expositions, a élaboré un projet rassemblant sous ce nom de tels artistes, un projet susceptible de nombreuses réalisations, adaptées à chaque fois aux lieux, moyens et pays. Seuls des amis slovaques en ont bien voulu, et cela a donné en 2001, après une année de travail, une exposition de 7 « artistes » français (François Bouillon, Patrick Corillon, Jean Dupuy, Richard Fauguet, Olivier Leroi, Les éditions des quatre mers, François Righi) à Trnava et à Banska Bystrica. Titre slovaque : bon mauvais sens. Il reste des catalogues, qui peuvent être commandés aux Éditions du céphalophore entêté -Tous les (h)artistes que défend Nouvelles Hybrides sont des excentriques de gravité.

Filozophykcions : essais de philosophie par l’absurde, dont on trouvera de premiers exemples développés dans le n°4, avec le texte inspiré par le dessin de Guillaume Dégé « représentant » l’échelle à mesurer le poids de la grâce, et dans le n°5, avec la glose shandyenne de Théodulphe Tête-de-Pioche (guère plus connu, il est vrai, des philosophes professionnels que du grand public, mais cet incognito devrait favoriser une appréciation objective de ses idées ou de son style, et « aux âmes bien nées … ) et dans le n°6, avec l’essai d’Hannibal Leichtpflucht sur le Gai Mentir

Grâce humoristique Cf « poésie humoristique » et, dans le n°4 de Nouvelles Hybrides, les réflexions sur la grâce et ses contraires (qui ont valu à leur auteur de peu poétiques reproches de religiosité, auxquels il a répondu dans le Journal de la Berlu du n°5)

Grotesque : alliance de l’horrible et du comique, génialement comprise par Victor Hugo de manière « théorique » dans la Préface de Cromwell et de manière plus créative dans de nombreuses œuvres (par exemple dans le Quasimodo de Notre-Dame de Paris ou dans le Gwynplaine de l’homme qui rit) – dans un essai intitulé Les monstres dans la grotte dorée et leurs avatars à l’air libre, et.c. a tenté de mettre en évidence le curieux phénomène de la disparition au XXème siècle du terme de « grotesque », alors que l’invention grotesque y a été et est encore extrêmement féconde, publié dans la revue Humoresques, et prochainement republié avec des illustrations aux Editions du Céphalophore entêté

(h)art art multiplié par un coefficient de minusculité et d’incongruité humoristique, qui de ce fait ne peut plus être approché de la même manière que l’Art majeur et majuscule (un professeur de philosophie de l’art à Paris 8 enseigne depuis des années ce qu’il nomme « l’istoire de l’(h)art », mais aucun de ses collègues ne lui a jamais demandé ce que signifiaient ces « h » en moins et en plus : de là à supposer qu’ils ont tout de suite compris … )

(h)art incontemporain le préfixe « in » (inconscient, intempestif), comme « un » (eune) en anglais (unconscious), « un » (oun) en allemand (Unbewusstsein, unzeitgemässig), traduit une opposition très forte, absolue – même s’il ne correspondait encore à rien, il faudrait inventer cet adjectif, pour rappeler au désordre du négatif, mais c’est bien le mot dont nous avons besoin pour dire le rapport violemment hostile au lisse, vide et insipide de « l’art contemporain » de ce que faisaient Picabia, Duchamp, Ernst, Dubuffet, Filliou, Dietman, Topor, … ou de ce que font Dupuy, Lizène, Bouillon, Baxter, Fischli & Weiss, Cattelan, Barbier, Fauguet, Blanckart, Blazy, Dégé, Puente, … –

(h)expositions expositions en l’absence des œuvres ou (h)œuvres originales, par l’intermédiaire par exemple de photos reproduites dans une revue. Il y a ainsi une (h)exposition de monstres artistiques dans le n°2 de Nouvelles Hybrides et une (h)exposition d’(h)œuvres humoristiques dans le n°4

(h)œuvres manifestations de l’(h)art, œuvres qui n’en sont pas vraiment, comme les peintures monochroïdales d’Alphonse Allais, la photo de la Joconde l.h.o.o.q.isée par Duchamp, les frottages et les collages de Max Ernst, les concerts fluxus, les tableaux-pièges de Spoerri, les compressions de César, les accumulations d’Arman, les anagrammes de Jean Dupuy, les tables de ping-pong à Marey haut de Richard Fauguet, les étiquettes de boîtes d’allumettes de Vincent Puente …

Hybride : généralement conçu comme synthèse d’éléments hétérogènes, mais une idée beaucoup plus dynamique et … électrique en a été formulée par l’éditorialiste du n°2 de Nouvelles hybrides : « elles sont bien une sorte d’archipel, mais indénombrable et dont les îles éphémères sont des fulgurances, des éclats de conscience qui, dans l’espace que crée ce genre d’instant, abolissent tous les pays, et qu’on n’est jamais sûr de retrouver. Entre les quelques parcours obligés qui nous cachent l’immense du monde et l’infiniment libre de la vie, il y a, parfois, des passages qui s’ouvrent et mettent en communication instantanée des lieux mentaux que l’on ne pourrait joindre, « normalement », que par de longs détours, ou pas du tout : la girafe se couvre des piquants du hérisson, le cor de chasse prend feu, la peinture disparaît dans le paysage, le peintre dans la peinture, le piment devient libellule, la langue poisson rouge, les esprits portent des chapeaux, un dé à coudre rencontre un parapluie, le rêve lourd jambon pend au plafond au-dessus d’un fantôme de nous-même qui s’étend sur le lit du blanc de l’œil, le coucou est remplacé par l’horloge à escarpolette, qui marque le temps suspendu, les bancs de poissons reflètent les haies de mésanges, les peupliers sont des flammes vertes, il y a une rue du Cul-de-sac, une avenue de l’Impasse, le temps n’a pas encore de barbe, les lettres du blanc sur les bandes du vieux billard évoquent les lettres du blanc sur les bandes du vieux pillard, Rrose Sélavy et moi esquivons les ecchymoses des esquimaux aux coups exquis, … ces « images » sont des hybrides, et ces hybrides sont des unificateurs inattendus, opèrent la fusion instantanée de termes que nous n’aurions jamais pensé à seulement rapprocher, et leur découverte (par soi-même ou grâce à d’autres, beaucoup moins importe que généralement on ne croît) est de très loin la plus efficace et la plus réelle des résurrectines : comme remède instantané à l’ennui, on fait d’autant moins mieux que cette poésie est souvent drôle, ou même, comme aurait dit Baudelaire (qui n’y connaissait pas rien) très-drôle. Les nouveaux hybrides sont des atolls viagresques pour nos facultés d’émerveillement et de rire, dont les médecins des âmes devraient prescrire la recherche à leurs patients (sans oublier de commencer par eux-mêmes) : ce sont des fusées qui déclenchent des évasions instantanées (nous avons nous -aussi remarqué qu’il y a un instant c’étaient des atolls, mais … comment parler des images autrement qu’avec des images ?) vers des ailleurs hors du réel et du possible, même, des ailleurs innombrables qui ne sont pas des quelque part (Le gang des philosophes para-bavarrois à chaussures cloutées soutient que les bêlements d’êêêtre de la poésie permettent de résoudre la crise métaphysicosmique du logement, mais c’est oublier qu’il n’y a pas seulement l’être, le non être, ou les moutons). Les Nouvelles Hybrides sont un là-bas qui n’est pas un autre ici, un entremonde en archipel infini qui n’est ni dans ce monde ni dans un autre mais dans le va-et-vient perpétuel qui en relie les innombrables atomes. Elles forment la trame infinitésimale des recommencements du monde. Nous ne les avons pas découvertes, ni ne sommes les premiers à entreprendre de les explorer : nous venons après Lichtenberg, Jean-Paul, Grandville, Hugo, Aloysius Bertrand, Baudelaire, Ducasse, Rimbaud, Laforgue, Roussel, Duchamp, Apollinaire, Arp, Ernst, Breton, Styrsky, Toyen, Dali, Queneau, Chazal, Perec et tant d’autres géniaux arpenteurs de ce non-monde d’ombres vives, mais la conscience s’est perdue de l’aventure commune à laquelle ils ont participé, et même s’il n’est pas très étonnant qu’on ne cesse de la perdre, car elle est celle du désir de la discontinuité absolue, du tout autre, du jamais vu, jamais ouï, jamais pensé, nous voudrions contribuer à la retrouver, à la reconstituer. L’incompréhension est telle aujourd’hui de tout ce qui est haute poésie, art absolu, humour, amour, épiphanies burlesques, fausse mystification, philosophie par la folie ou gai savoir par l’ignorance qu’il ne sera peut-être pas inutile de montrer qu’il existe encore des chercheurs de l’or de ces illuminations-là, que l’aventure continue, de la recherche des mondes sans gravité que ce désir commande, que certains d’entre nous ont encore faim du sandwich symbolique qui ne ressemble à rien. Les hybrides auxquels tout le monde pense lorsqu’on prononce ce mot nous intéressent aussi, mais ils ne sont à nos yeux qu’une petite partie d’un univers infiniment plus vaste, et une partie extrêmement problématique. Est-ce que, par exemple, « hybride » est synonyme de « monstre » ? Si non, en quoi, et pourquoi ? Est-ce que tous les hybrides sont également fascinants ? Si l’on parle de « Nouvelles hybrides », c’est qu’il y en a des anciennes : quelles ? et qu’est-ce qui les différencie ? »

Imagination : pour autant que nous le comprenions, Le nez t’il pas le siège de l’imagination ?, cet étrange essai de Théodulphe Tête-de-Pioche dans le n°5 de Nouvelles Hybrides, constate un déclin atrophique et catastrophique de l’imagination chez nos contemporains : notre inaptitude à prendre vraiment conscience du réchauffement de la planète n’en est peut-être pas moins un signe que notre incuriosité toujours plus grande des origines

Inactes : actes « augmentés du possible, diminués du regrettable et rebondis du suggéré » des journées d’étude sur les livres monstres organisées chaque année depuis maintenant 6 ans par le professeur Étienne Cornevin, au Musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis. L’intention initiale étant de faire deux numéros par an de Nouvelles Hybrides, seuls les numéros impairs devaient accueillir les Inactes des journées d’étude, et c’est en effet le cas des n°s 1 (Qui a peur des livres monstres ?), 3 (livres dont les éditeurs sont aussi, plus ou moins, les auteurs) et 5 (livres monstres par collages), mais étant donné le ralentissement du rythme de parution, tous les prochains numéros en contiendront (le n°6, qui devrait sortir en Juin, contiendra les Inactes de la journée d’étude de Mai 2006, consacrée aux livres monstres burlesques).

Limericks : forme de poésie brève et acide, quoique verte aussi, dans laquelle Edward Lear a su glisser des histoires nonsensiques très propres à réjouir les très petits et les grands restés très petits – contrainte favorite d’Adman Adam, le barde de Nouvelles Hybrides, qui la pratique très exclusivement, depuis sa naissance à 54 ans, mais sa poésie learique en français est beaucoup moins accessible aux enfants, et se laisserait sans doute beaucoup plus difficilement traduire en anglais que celle de Lear en français – quelques exemples ont été publiés dans les n°s 3 et 4, et un recueil, intitulé Notre nain quotidien et accompagné de dessins de Guillaume Dégé, a paru aux Éditions du céphalophore entêté –

Livres monstres œuvres-livres, livres à voir et à lire, commandés par les folies de l’imagination et du dessin, par la révolte de tout ce qui dans les livres normaux est subordonné au sens ; hybrides donc, très violemment hétérogènes (car il y a incompatibilité absolue entre voir et lire, comme Pascal Quignard, partisan résolu des livres à seulement lire, l’a très nettement compris et formulé) et dont il est très mystérieux qu’ils puissent quelquefois, moins rarement qu’on ne croirait, devenir organiques – Esteban Hornwine a écrit un Manuel du chasseur de livres monstres, traduit en français et publié aux Éditions du céphalophore entêté par Étienne Cornevin, qui par ailleurs fait chaque année depuis dix ans un cours semestriel sur les livres monstres, à Paris 8, et organise chaque année depuis six ans une journée d’étude sur les livres monstres, qui se tient vers la mi mai au Musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis –

Poésie humoristique (po(h)ésie poésie dont la drôlerie, rarement éclatante et quelquefois absente, repose sur le merveilleux de la grande étrangeté – le terme fait déjà l‘objet d’une élaboration remarquablement fine et pertinente dans le Cours préparatoire d’esthétique de Jean Paul Richter (Vorschule der Aesthetik, 1804 – L’âge d’homme, 1979), et a été repris beaucoup plus distraitement par André Breton dans l’Anthologie de l’humour noir (1940) – et.c. le reprend à son tour, en donne de nouveaux exemples et en précise de nouveaux aspects dans la dernière partie de son essai sur l’échelle à mesurer le poids de la grâce (NH4)

Tératologie poétique science – modérément portée sur la scientificité – des monstres imaginaires et artistiques – Arne Saknüssemm, dans ses Prolégomènes à une ‘’’pataphysique des hybrides, monstres, trolls et autres anti-êtres imaginaires, extraordinairement extraordinaires (NH2), a posé les bases de ce que pourrait être une telle « science »