André Balthazar : JE – 19.14 cm, 88 pages –

en couverture une photo d’André Balthazar « ramollie » par Pol Bury –

L’escampette, 2002 –

 

– kez aco ?

– un recueil d’exercices d’introspection (sans peine apparente),

un livre d’observations de soi s’observant

s’écoutant

se perdant dans un arbre, une feuille (Je aime trembler comme une feuille)

s’amusant d’une illusion à prolongements gourmands

s’étonnant de sensations-sentiments vaguement mystiques (Je se sentit confusément proche du ciel. Sa peau frissonnait sous ses paupières, mais ses mains continuaient d’appartenir à la terre)

se résignant à son destin de faible reluisance (Je serais plutôt du genre assis, penseur, passif, poussif, arpenteur essoufflé, qui se mesure au compte-fils)

se souvenant de ces moments où l’on sait qu’on a oublié quelque chose dont on ne peut se rappeler (Caramel pas vraiment mou qui excite autant la langue que les dents)

se constatant amoureux, parfois, d’Elle

ou peu buveur (Il préfère humecter ses lèvres que de se remplir la bouche et avaler)

ou rêveur (Un nuage – surtout blanc dans un ciel bleu-ciel – le saisit, le tient par la laisse, lui interdit tout assoupissement)

ou amoureux des lettres

ou collectionneur de petits cailloux

ou lecteur et plus encore relecteur (Aime surtout relire autrement un livre déjà lu, appréciant au détour d’une page des émotions qu’il n’avait pas soupçonnées et qui, sans vraiment le changer ni le rajeunir, le rendent plus autre sinon plus neuf)

se situant loin des lieux et des astres de la grandeur, dans la proximité « des petits riens pas tout à fait riens »

se retrouvant ému par une statue mamellue et fessue

se délinéant ami des lignes plutôt que des surfaces, et ennemi des volumes

se délirant par moments cactus ou oursin, quand il a une telle vocation de mollesse

se surprenant à penser beaucoup quand il ne pense à rien

localisant son érotisme dans l’oreille (un simple murmure lui donne le frisson, l’entraîne dans des symphonies de jubilation vénérienne)

 

un livre très personnel, donc, sous le couvert d’une première personne traitée comme une troisième

 

un livre de réponses concrètes à la question qui suis-je ?

par un poète de tempérament plus féminin que Montaigne ou Rousseau,

très pauvre en idées mais très riche en impressions et sensations,

et en bonheurs pour les dire, aphoristiquement.

 

un livre que l’Association des Amis des Livres qui Servent à Quelque Chose conseille d’utiliser pour déterminer si et dans quelle mesure on habite un Je de ce genre [évaluer son coefficient de balthazarisme, en somme – si vous obtenez zéro, vérifiez que vous n’êtes pas tout(e) vert(e) avec des petites antennes], en substituant à un inconnu su tel un autre inconnu qu’on croyait connaître avant de procéder à cette tentative de substitution.

 

Quelques « bonnes phrases » :

Mais il puisait dans la vue du ciel – et dans la transparence qu’il lui accordait – l’énergie de ne pas voler.

Je n’a pas de mémoire : il croit qu’il se souvient.

Les alcools ne sont pas sa tisane.

Ne l’occupe que la simplicité des lettres d’un alphabet (mot à risques) sage et nu.

Je respire l’air qui passe et n’en cherche pas la formule. Sa chimie est maigre, son temps mesuré.

Il n’est pas l’homme des sommets ni des grands mots, ni de la nuit noire, ni du soleil qui éblouit le dos de la rétine. Il est plutôt celui de la pénombre, du crépuscule (à ses débuts), de la brume plutôt que du brouillard, du poivre et du sel, des chuchotements de feuilles lasses, des crépitements de compost après de fortes chaleurs, de petits riens pas tout-à-fait riens.

Je aime les lignes, moins les surfaces (qu’il s’oblige à accepter par discipline), pas les volumes (trop encombrants)

Je n’est pas aussi rond que certains le croient. Il a ses coins pointus qui l’asticotent. Loin de l’attention des autres, il lui arrive de se croire cactus et surgissent des soleils et des déserts ; ou bien oursin, et ce sont des fonds agités par des nageoires de mille sortes qui mouillent ses chimères.

Son érotisme est dans l’oreille. Un simple murmure lui donne le frisson, l’entraîne dans des symphonies de jubilation vénérienne.

En chemin de fer, il ne peut s’empêcher de penser à ces parallèles qui lui frôlent les pieds et qui jamais ne se rencontrent.

Je ne parle qu’à la troisième personne. Cela le protège du tutoiement. Il n’est familier avec lui-même que quand il s’écoute parler.

Je n’a pas d’amis, pas d’ennemis. Il n’en veut pas. Il se refuse toute approche et d’éloigne d’une main qui pourrait se tendre, d’un sourire qui pourrait s’attendrir. Il revendique le statut d’étranger. Toutefois, avec la même secrète obstination, il se refuse celui de solitaire.

 

….

 

[André Balthazar était un grand aphoriste – grand amateur d’aphorismes, également. Un remède pour ceux et celles auxquel(le)s) les hyperphorismes de Proust flanquent la migraine : en couper la lecture par des aphorismes de Balthazar. Ils elles pourront constater au passage que le court en dit quelquefois plus long que le long …]