Poupées gigognes des temps et des durées. Le Temps n’existe pas : la variable « t » des mathématiciens n’est pas le temps immédiatement associé à une vitesse et traduit en distances parcourues par la lumière des astro-physiciens (qui ont réussi à calculer que la barbe de l’univers était longue de 15 milliards d’années environ), qui n’est pas le temps des géologues (qui comptent en milliards et millions d’années – Ga et Ma -, et pour qui tout commence avec la formation de leur planète préférée il y a 4,54 Ga), qui n’est pas le temps des paléontologues (pour qui les affaires sérieuses commencent à la fin du Protérozoïque – « avant l’animal » -, il y a 541 Ma – et vont du Cambrien – de 541 à 485 Ma – jusqu’au Crétacé – 145 à 66 Ma -, à la rigueur au Tertiaire – 66 à 2,58 Ma), qui n’est pas le temps des préhistoriens (pour qui c’est seulement avec l’apparition d’Homo, il y a environ 2,8 Ma – soit 17 secondes sur l’horloge qui mesure symboliquement l’histoire de la Terre -, que l’histoire devient intéressante), qui n’est pas le temps des archéologues (malgré une intersection où l’on trouve des vestiges de la « culture matérielle » des hommes d’avant l’écriture), qui n’est pas le temps des ethnologues (qui étudient des peuples et des cultures d’ancienneté variable mais encore vivantes, même si ce n’est plus pour longtemps, et dont on peut connaître les idées – mythiques – qu’ils se font sur l’éternité), qui n’est pas le temps des linguistes (la formation d’une langue comme le français, par exemple, a demandé environ 17 siècles, et 4 siècles après sa fixation elle garde la plupart de ses caractéristiques essentielles), qui n’est pas le temps des historiens (chroniquant et synthétisant traditionnellement les « événements » – règnes, guerres, victoires, défaites, révolutions –, plus attachés depuis Marx et Braudel aux phénomènes de « longue durée » – système féodal ou capitaliste, paysages, art, « mentalités », rapport des hommes aux machines, à la médecine, au sexe, à l’amour, à la religion, …), qui n’est pas le temps des journalistes (pour lesquels seule importe l’actualité), qui n’est pas le temps des psychologues (qui croient que tout l’essentiel se joue au cours de l’histoire individuelle de chacun), qui n’est pas le temps des romanciers (qui transmutent en présent perpétuel le passé comme le futur), qui n’est pas le temps des philosophes (fous qui cherchent à retrouver des permanences éternelles, au-delà des modes et des évènements contingents), qui n’est pas le temps des croyants (encore plus fous qui pensent avoir trouvé ce que les philosophes cherchent), qui n’est pas le temps de nos vies, indécrottablement subjectif et oscillant toujours entre le trop long et le trop court. Et nous sommes simultanément dans tous ces temps incommensurables, totalement insignifiants dans les plus longs, qui nous semblent immobiles, espérant l’être un peu moins dans ceux qui semblent se rapprocher le plus de notre portée.