Vu dans une série policière, « Section de recherches », un beau spécimen du type humain peu ragoûtant de ces gens qui, étant convaincus de leur infinie supériorité sur les autres, se sentent on ne peut moins « gens », et humilient régulièrement les personnes de leur entourage qui les admirent sans se rendre compte qu’ils les détruisent (ce qui est très logique, puisqu’à leurs yeux ils n’existent pas). Autoproclamés propriétaires de l’Être, convaincus que tous ces gens qui ne sont rien – et qui peuvent être leur femme, leur maîtresse, leurs enfants, leurs collègues de travail – doivent s’estimer heureux de recevoir les miettes de leur gloire. Les psychologues s’occupant de la médecine du travail se sont rendu compte depuis quelques années que ces salauds perfectionnistes n’étaient pas rares dans les postes de direction, où leurs critiques continuelles poussaient assez souvent les employés les plus idéalistes au suicide, à la dépression ou au « burn out », et ils ont forgé pour eux la catégorie de « Pervers narcissique ». À une époque qui a fait du narcissisme la première des vertus, et qui a « normalisé » la plupart des perversions d’autrefois (homosexualité, sadisme, masochisme, voyeurisme, exhibitionnisme), le terme est plutôt gentil. Et, toute perversion étant plus ou moins ouvertement narcissique, passablement idiot. Quelque chose comme « Ordure BCBG » serait plus scientifiquement correct. Ou encore « Sadique idéaliste ». Car comme les sadiques sadiens, ils jouissent d’humilier et de faire souffrir leurs victimes, mais alors que cette source anti-morale du plaisir est déclarée et justifiée par le Marquis et ses disciples, elle est chez ces tordus à demi consciente seulement, et donc tue, voire extérieurement combattue. Une telle dénomination offrirait en outre l’avantage d’éclaircir la vieille question du sadisme des nazis, récusé par les défenseurs de l’héritage censément libérateur de l’auteur des 120 journées de Sodome. Les nazis étaient eux-aussi des sadiques idéalistes, qui humiliaient et anéantissaient ceux qu’ils considéraient comme des « sous-hommes » (Untermenschen) pour le Bien du monde et, tout bien considéré, pour leur propre Bien : puisqu’ils ne méritaient pas de vivre, ils leur rendaient service en les débarrassant de l’existence (accessoirement, cela ne faisait pas de mal aux bourreaux de s’emparer des biens de leurs victimes : un tel dévouement mérite quelques compensations). Les nazis n’auraient jamais autorisé la publication du plus mesuré des écrits de Sade, et leurs doctrines meurtrières sont infiniment plus fausses, mensongères et inacceptables, mais le fond inhumain de plaisir dans l’humiliation des autres traités comme des choses est commun, et les victimes désillusionnées comprendront facilement, sans doute, que celui ou celle qui se révolte aujourd’hui contre un crypto-sadique de cette tartuffesque farine le traite de nazi et entreprenne, quoiqu’il doive lui en coûter, de hâter son passage de l’autre côté.