Comme chaque année à la même époque, l’affrontement entre le champion des Yonnais (on ne dit plus « icaunais » : Cf http://nouvelles-hybrides.fr/wordpress/?p=10760) et le champion des Lyonnais, dont l’issue fixe pour un an la primauté des uns ou des autres, a bien eu lieu, devant un public nombreux quoique frigorifié. D’un côté Aujourd’hui, lyonnais, de l’autre Glacier, yonnais. C’est le fameux chroniqueur sportif Stéphane Mallarmé qui, dans son style fleuri légendaire, nous relate cette rencontre :
Le vierge, le vivace et le bel Aujourd’hui
va-t-il nous déchirer avec un coup d’L ivre
ce lac dur oublié que hante sous le givre
le transparent Glacier des vols qui n’ont pas fui ! *
* Tout le monde peut constater qu’Aujourd’hui, le lyonnais, est en effet vivace et bel, si bien qu’on a tendance à le croire vierge, mais c’est une licence poétique et plus encore journalistique de l’affirmer tel ; Aujourd’hui, paralysé par Glacier, va-t-il faire usage de son L, la fameuse arme secrète – enfin, plus tant que ça – des lyonnais ? Glacier, pour mieux ôter toute possibilité de riposte à son adversaire, s’est fait transparent ! C’est un procédé à la limite de la déloyauté, mais rien dans le règlement du combat ne stipule qu’il ne doit pas en être fait usage ; ces « vols » conservés par Glacier à l’abri des regards, ne sont-ils pas des anabolisants ? mais les contrôles anti-dopage n’ont rien décelé.
Un cygne d’autrefois se souvient que c’est lui
Magnifique mais qui sans espoir se délivre
Pour n’avoir pas chanté la région où vivre
Quand du stérile hiver a resplendi l’ennui.*
* Aujourd’hui est également connu comme Le cygne, à cause de sa blancheur (il est plus albinos qu’un albigeois), de son cou long et mince, et de sa sus-mentionnée L ; la prise imparable de Glacier lui laisse le temps de – douloureusement – méditer sur sa magnificence passée, et sur l’énorme acte d’intelligence négative qu’il a commis en ne partant pas « à tire d’L » vers des régions plus clémentes quand, pour parler comme le poète, « la bise fut venue ».
Tout son col secouera cette blanche agonie
Par l’espace infligée à l’oiseau qui le nie,
Mais non l’horreur du sol où le plumage est pris.*
* Aujourd’hui tortille encore du cou, mais c’est bien tout ce qu’il peut bouger : Glacier, non sans ironie, s’est fait lourd comme la gare de la Depardieu un jour de grève. On ne voit plus comment le lyonnais pourrait échapper au yonnais.
Fantôme qu’à ce lieu son pur éclat assigne,
Il s’immobilise au songe froid de mépris
Que vêt parmi l’exil inutile le Cygne.*
* Ça y est ! Aujourd’hui ne bouge plus. Glacier l’a métamorphosé en statue de glace, toujours belle, certes, et pas moins vierge qu’au début de la rencontre, mais plus vivace du tout.
Le récit de notre chroniqueur, désireux peut-être de produire un effet à la Gaspard-David Friedrich, s’interrompt sur cette vision tragique, mais, heureusement pour le moral des lutteurs, il y a eu une suite : le public yonnais applaudit à tout rompre, et la chaleur de cette approbation claquante amène Glacier à relâcher un peu sa froidure, mais il en faudrait plus pour qu’Aujourd’hui se déstatufie ; les yonnais, bons bougres, débouchent quelques bouteilles de Chablis Premier Cru, servent à boire à tous les présents, et entonnent l’hymne national bourguignon : « Chevaliers de la table ronde / goûtons voir si le vin est bon / Chevaliers de la table ronde / … Les lyonnais, beaux joueurs, reprennent en choeur, et le bel Aujourd’hui tout-à-coup s’ébroue, retrouve sa voix et s’écrie : « À boire !« . On lui remplit un verre qu’en un éclair il vide et à nouveau il s’écrie : « À boire !« . On lui re-remplit son verre qu’en un éclair il vide et à nouveau il s’écrie : « À boire !« . On lui re-re-remplit son verre … jusqu’à ce que son nez soit d’une rougeur caronculaire, et tous les petits malins qui n’attendaient que ça se mettent à scander : « le chant du Cygne ! le chant du Cygne ! … » Il s’exécute (= il chante, ne soyez pas aussi littéraux !), en choisissant malicieusement l’hymne national breton (« Ils ont des chapeaux ronds / vive la Bretagne / …« ) qu’il chante avec ses tripes (à la mode de Lyon). Yonnais comme lyonnais trouvent que c’est spirituel, oecuménique et pour tout dire finhystérique : ils reprennent en choeur, et tout se termine dans la bonne humeur et quelques autres liquides plus ou moins sympathiques.
N’empêche, pour l’année prochaine, les lyonnais devront probablement se trouver un autre champion.