Le début de 1953 a été marqué par une découverte archéologique de première importance : dans un site funéraire de la commune de Vix, à quelques kilomètres de Châtillon sur Seine (Côte d’or), Maurice Moisson, paysan passionné d’archéologie qui avait participé aux fouilles dès leur début en 1929, et René Joffroy, professeur de philosophie à Châtillon sur Seine qui, à la mort de Jean Lagorgette, en 1942, avait repris la direction du chantier,  trouvent un vase en bronze de proportions gigantesques (hauteur : 1,64 m, diamètre à la panse : 1,27 m, diamètre à l’ouverture : 1m   – capacité : 1 100 litres – poids : 208,6 kg) et d’une qualité artisanale et artistique très exceptionnelle.

André Breton s’est enthousiasmé pour cette découverte, au point de répondre à une enquête du Figaro littéraire sur l’événement marquant de l’année 1953 :  À coup sûr, la découverte du trésor de Vix. J’aurais donné une part de ma vie pour être là le 8 janvier 1953 à la nuit tombante, quand Moisson, « cultivateur et fossoyeur » (sur la voie de l’alchimie ?) découvrit la première anse du vase, qui lui parût une « selle de cheval »

Quand on voit l’objet – magnifiquement exposé aujourd’hui au nouveau Musée de Châtillon, dans les espaces d’un ancien couvent -, on se rend compte tout de suite que son ornementation vient de la mythologie et des traditions guerrières grecques (gorgones, frise de chars et de hoplites, chevaux ailés), et l’harmonie parfaite de sa forme comme sa probable fonction, liée aux banquets, s’accordent mieux avec ce qu’on croit savoir des goûts et des coutumes hellènes qu’avec le côté mal peigné des gaulois chevelus (auxquels César, qui n’en avait pas beaucoup – de cheveux -, a jugé bon d’imposer une coupe plus sobre et disciplinée, à la romaine).

Or … André Breton a souvent affirmé sa détestation de la culture gréco-romaine, à laquelle il reprochait … d’exister : sans la mythologie, l’Illiade et l’Odyssée, les jeux olympiques, la philosophie, les mathématiques, la démocratie, l’amour des discours, le théâtre, les banquets, la physique, la métaphysique, la logique, les sciences naturelles ou la psychologie, la civilisation dont le philologue francophile Frédéric Nietzsche avait donné quelques dizaines d’années auparavant des analyses si intelligemment admiratives aurait pu trouver grâce à ses yeux, mais avec tout ça (qu’il résumait hardiment sous le terme « anthropocentrisme », comme si l’équilibre du cosmos n’était pas l’enjeu de la guerre permanente contre la démesure qui fait le fond de la sagesse grecque) …

Qu’est-ce qui lui a pris ? Il a certainement vu les photos des merveilles trouvées au pied du mont Lassois, et lu les articles de René Joffroy – qui penchait pour une origine lacédémonienne du vase, sorti des ateliers « soit de Sparte même, soit des colonies de la Grande Grèce, de Tarente ou de Cumes par exemple » (dans un article du Bulletin archéologique et historique du Châtillonnais de 2013, Bruno Chaume, chercheur au CNRS, tranche : « Il a été réalisé vers 530 av J.C par des Grecs, dans un atelier de Grande Grèce situé dans les environs des villes de Tarente et Sybaris »). Il ne pouvait donc ignorer l’inceltitude radicale de cette trouvaille, qui allait nettement à l’encontre de ceux qui voulaient croire à une originalité totale de la culture gauloise, notamment par rapport aux cultures grecque, étrusque et romaine.

Au contraire, on a avec ce vase un témoignage d’une culture ouverte à des influences extérieures, éventuellement très lointaines – plus affine semble-t-il, en ce qui concerne les idées sur la vie après la mort, aux conceptions et aux pratiques des Égyptiens, qui ne pensaient qu’à s’y préparer, qu’aux conceptions et aux pratiques des Grecs, qui trouvaient que la condition de mort est la moins enviable de toutes et ne pensaient qu’à bien vivre (avec divergences explicites sur le sens de « bien » dans cette expression).

Les spécialistes datent le vase de Vix du VIème siècle av JC , soit de la fin du premier âge du fer (- 900  -500 : époque dite de Hallstatt, d’après un site en Autriche) et il – le vase – montre clairement que certains aspects au moins de la culture grecque ont pénétré en Gaule bien avant qu’elle ne soit conquise par les troupes de César (- 58 – 51), puis définitivement romanisée.

On sait très peu de choses de la civilisation gauloise, du fait notamment de son assimilation par l’organisation civile, militaire et religieuse romaine, mais tout semble indiquer des sociétés tripartites, avec la classe sacerdotale des druides et des bardes (eh oui, Panoramix et Assurancetourix étaient des camarades de classe), la classe des guerriers (qui étaient quelquefois pris d’une envie irrépressible d’aller dérouiller l’ennemi héréditaire du coin ou, plus exotiquement, saccager Rome ou Delphes) et la classe plus nombreuse des paysans, artisans et commerçants. La mythologie des « étrangers » – c’est le sens du mot que les Germains appliquaient à ceux qui préféraient se nommer « celtes » – ne nous est guère mieux connue (le caractère initiatique du savoir druidique et l’interdiction de nommer les dieux – pour éviter que ces salauds d’ennemis ne puissent les invoquer à leur profit -, a sans doute joué un rôle important dans cet escamotage archéologique), mais les parallélismes devaient être assez nombreux et essentiels pour que César, s’appuyant sur l’historien grec Posidonios, trouve des équivalents aux principaux dieux du panthéon gréco-romain [il semble que Lug ait correspondu à Mercure-Hermès, Cernunnos à Bacchus-Dionysos, les trois matrones, portant des cornes d’abondance ou avec des enfants sur les genoux, à Cérès-Demeter, Epona, toujours accompagnée d’un cheval et protectrice des cavaliers, des charrons ou des voyageurs à cheval, à Diane-Artémis, Taranis le tonnant, dieu de l’orage et de la guerre, à Jupiter-Zeus, Grannos, dieu solaire, à Apollon ; mais à quel dieu correspond celui que César nomme « Dis Pater » – ce que l’on traduirait volontiers par « Dieu le Père » -, dont les Gaulois, avec une modestie dont la tradition ne s’est pas tout à fait perdue avec leur métamorphose en Français, se croyaient les fils ? faut-il supposer un penchant monothéiste chez ces polythéistes résolus ?]. Les sacrifices humains, qui faisaient partie de la religion druidique – Teutates aimait particulièrement qu’on noie, démembre ou fasse cuire les victimes dans des troncs d’arbres creux -, nous répugnent – et les images d’Épinal de l’irrédentisme gaulois les oublient soigneusement -, mais les maîtres grecs avaient droit de vie ou de mort sur leurs esclaves, et les Romains avaient en plus les jeux du cirque. Dans ce contexte, l’originalité des Gaulois est beaucoup plus relative que ne l’ont cru Breton et les surréalistes qui lui ont emboîté le pas (essentiellement Lancelot Lengyel, dont le livre sur L’art gaulois dans les médailles, dans lequel il démontre photos à l’appui la force expressive remarquable des statères fondus en Gaule à partir du IIIème siècle, est publié en 1954. Dans un remarquable article intitulé André Breton et les Surréalistes face à la redécouverte de l’art gaulois – trouvable sur internet -, Raphaël Neuville explique que l’année suivante, au Musée pédagogique (rue d’Ulm), une exposition intitulée Pérennité de l’art gaulois suivra, visant à montrer que « l’histoire de l’art occidental est traversée par deux courants distincts : l’un nourri par le classicisme de la Grèce antique, tandis que l’autre, expression d’un certain primitivisme, trouverait à s’exprimer depuis l’art celte jusqu’au surréalisme à travers le gothique flamboyant, le baroque, le rococo, l’Art nouveau et même, non sans confusion, l’art « nègre », le cubisme et le futurisme. » Commissaires du second volet de l’exposition, intitulé De l’art gaulois à l’art moderne : André Breton, Charles Estienne et Lancelot Lengyel. Dans leur livre sur « L’art magique », publié en 1957, Breton et Legrand reprennent cette idée d’une continuité entre art celte et surréalisme, qui fait bon marché des différences entre des contenus mythico-religieux apparentés extérieurement par des similitudes formelles plus ou moins évidentes, et ne tient aucun compte des arts non plastiques)

Alors ? Pourquoi tant d’exaltation pour des choses que nous pouvons encore moins comprendre que connaître ? Pourquoi tant de préférence pour un art qui est tout aussi essentiellement magique que les arts grec, romain, étrusque, égyptien, ou plus tard chrétien, mais dont la magie a rarement pu empêcher la disparition ? Les ex votos qu’on a trouvé en abondance sur le site des sources de la Seine reposent sur une pensée médicale magique, mais sont pour la plupart,  stylistiquement, gréco-romains.

Breton aurait-il été adepte du « néo-druidisme », selon lequel les monuments mégalithiques étaient les temples des druides (William Stukeley, 1740) ? Se serait-il laissé tromper par la mystification de James Macpherson, qui a attribué à un certain Ossian des Fragments de poésie ancienne recueillis dans les montagnes d’Écosse (1760 – 1763) qui vont dans le même sens ? Adhérait-il à la vision de Michelet, pour qui Vercingétorix était un résistant à l’envahisseur ? (c’était aussi le point de vue de Napoléon III, qui a commandité au sculpteur André Millet – et aurait servi de modèle – à la très académique statue géante qui se dresse depuis 1865 sur le mont Auxois, près d’Alise Sainte Reine ; dans l’Église de Ham, on pouvait voir, jusqu’à l’époque de la grande Guerre, un plâtre dans lequel Vercingétorix et Jeanne d’Arc se serraient la main, avec marqué au revers « Aux martyrs de la résistance »). Aurait-il soudainement pris goût aux « gauloiseries » ?

  Cela : non. Et il aurait sans doute trouvé Astérix, ce Gargantua à l’usage des enfants, détestablement vulgaire (car il n’aimait pas non plus Rabelais …). Non, ces trouvailles archéologiques résonnaient avec des histoires de la « matière de Bretagne », sans doute, ou avec les arts  précolombien ou océanien, ou avec les poupées hopi. Comme toutes ces merveilles issues de cultures qu’on n’ose plus nommer « primitives », comme ces phrases prodigieuses lâchées parfois par le sommeil, elles venaient de … la nuit des temps.

Mais les Gaulois protosurréalistes … trop rationnels pour ça (foncer sur l’ennemi parce qu’on est sûr qu’on ne meurt pas pour de vrai, ce n’est pas du surréalisme, c’est un placement de kamikaze père de famille …)