[Pour sa réception à l’Institut des sciences à peu près, le père Brown, dont tout honnête ou malhonnête homme (cette formule incluant bien entendu les honnêtes ou malhonnêtes femmes) lira les épastrouillantes enquêtes, telles que contées par le grand témoin G.K.Chesterton – un Watson qui a le bon goût de s’effacer derrière le héros et qui, quoique catholique, est beaucoup moins crédule que l’inventeur de Sherlock Holmes – avec le plus grand profit, le père Brown, disais-je, a bien voulu nous parler de certains très gros à peu près de la Science qui tiennent paradoxalement à sa volonté d’exactitude. Ce discours a été salué par une “standing ovation” silencieuse (simultanément en anglais et en français) qui dure encore à l’heure où, pour ainsi dire, nous mettons sous presse ]
La science est une grande chose quand on y a accès; pris au sens propre, c’est l’un des mots les plus sublimes du monde. Mais quel sens les hommes lui donnent-ils, neuf fois sur dix, lorsqu’ils l’utilisent de nos jours ? Lorsqu’ils affirment que la détection est une science ? Lorsqu’ils affirment que la criminologie est une science ?
Ce qu’ils veulent dire, c’est qu’il faut se tenir à l’extérieur de l’homme et l’étudier comme s’il était un gigantesque insecte, en vertu d’une approche d’où l’émotion est absente, qu’ils qualifient d’impartiale et qui mériterait mieux d’être qualifiée d’inerte et déshumanisée.
Ce qu’ils veulent dire, c’est qu’il faut prendre des distances considérables par rapport à l’homme, comme s’il était un lointain monstre préhistorique; examiner par le menu la forme de son “crâne de criminel”, comme s’il s’agissait d’une espèce d’excroissance inquiétante, telle la corne sur le nez d’un rhinocéros. Quand un scientifique parle d’un type, il ne fait jamais référence à lui-même, mais toujours à son voisin; et probablement à un voisin plus pauvre que lui.
Je ne dis pas qu’une approche d’où l’émotion est absente ne soit pas bonne quelquefois. Encore que, d’une certaine manière, cela soit à l’opposé même de la science : bien loin d’être un moyen d’accéder au savoir, c’est une façon de supprimer ce que nous savons. C’est traiter un ami en étranger et se donner l’illusion que quelque chose qui nous est familier est loin de nous et entourré de mystère. C’est comme dire qu’un homme a une trompe entre les yeux ou qu’il tombe en syncope et perd connaissance une fois toutes les vingt-quatre heures.
Eh bien, ce que vous appelez mon « secret », c’est exactement le contraire. Je n’essaie pas de me tenir à l’extérieur de l’homme. J’essaie d’entrer dans la peau de l’assassin …