Je regarde en arrière, essayant de me faire une idée du chemin parcouru depuis la création de la revue Nouvelles Hybrides en 2003, et je trouve le texte par lequel, dans les deux premières pages du n°1, j’en expliquais la nécessité et en annonçais le projet. Il me semble que ça tient bien, mais tous ceux et toutes celles qui sont monté(e)s en route sur La Berlu – et ceux qui, comme moi, ont oublié – devraient y trouver quelques clés pour comprendre la pasiphole folie qui m’animait toutes ces années (et m’accompagnera sans doute jusqu’à la fin : on ne divorce pas d’une chimère, encore moins de celle qui règne sur toutes les autres …). Jugez-en. 

 

 

    Je ne parle pas du chat, je ne parle pas des oreilles, je ne parle pas du maïs, je ne parle pas du mouton, je ne parle pas des femmes, je ne parle pas des hommes, je ne suis pas peintre, je ne suis pas littérateur, je ne suis pas musicien, je ne suis pas professionnel, je ne suis pas amateur.

      Or, dans ce monde laissé pour compte, il n’y a plus que des spécialistes. Les spécialités séparent l’homme de tous les autres hommes.

                                               Francis Picabia : Jésus-Christ rastaquouère    

 

 

(Le ) Problème, avec les revues, c’est qu’elles sont destinées à des publics déterminés, qui ne s’intéressent à rien d’autre : lectrices peu pressées de « presse féminine », lecteurs à une main de « presse masculine », gays, lesbiennes, sado-masochistes, amateurs de gros seins ou maniaques du bouton en forme de petit pois sur la fesse gauche (non, ceux-là n’ont pas encore leur revue) se démontrant leur droit à l’existence, chasseurs-pêcheurs à l’affût de nouvelles armes, photographes amateurs se rêvant artistes, shootés au foot, mateurs formatés à l’informatique, enrôlés dans les jeux de rôles, ivrognesses de la tisane-tricot, cruciverbistes confondant lettres et être, amateurs de BD incapables de lire un livre sans dessins, philosophes persuadés qu’il n’y a de vraie pensée qu’où il n’y a pas d’images, avant-gardiens critiques critiques des buts erratiques de l’art contemporain, poètes incapables de reconnaître la poésie sans étiquette, surréalistes de la racine du dernier carré, science-et-vitalistes qui ne cessent de trouver naturels les miracles dont ils ne cessent d’allonger la liste, psychanalystes inconscients des mystères d’en deçà la petite enfance, sociologues incurieux de ce que pensent les hommes-fourmis qu’ils étudient, historiens sans nostalgie d’avant l’Histoire, linguistes qui croient pouvoir séparer les langues des manières de penser qui les constituent, … Chapelles. Rarissimes ceux qui cherchent encore à découvrir les sources d’émerveillement des autres, se mettre à leur place, comprendre leurs vérités, et se corriger. Esprit de chapelle partout. Enrobé de mauvaise foi par ceux qui se rendent compte encore de l’obscénité qu’il y a à vouloir n’être que soi. Chacun dans ce qu’il imagine être son domaine, ici les philosophes, là les littérateurs, ailleurs les poètes, encore ailleurs les artistes, … avec d’innombrables subdivisions. Bien sûr, on ne saurait s’intéresser à tout, mais on peut se sentir un peu absurdement à l’étroit dans ce monde multidimensionnel peuplé de femmes et d’hommes qui se contentent d’une ou deux dimensions. On peut être curieux de plusieurs « domaines », et pas trop capable d’oublier ici ce qu’on a appris là ou là-bas. Alors, il est difficile de ne pas penser que toutes ces images de la réalité sont faussées par leur ignorance du reste, et qu’il faudrait se donner un moyen pour explorer les infinis qui se découvrent lorsqu’on n’a pas ces œillères .

 

 

  Puisqu’on ne peut être universel et savoir tout ce qui se peut savoir sur tout, il faut savoir peu de tout. Car il est bien plus beau de savoir quelque chose de tout que de savoir tout d’une chose ; cette universalité est la plus belle. Si on pouvait avoir les deux, encore mieux, mais s’il faut choisir, il faut choisir celle – là, et le monde le sent et le fait, car le monde est un bon juge souvent.

                                                                     Blaise Pascal : Pensées.

 

Projet : une revue universaliste (catholique, si vous aimez les étymologismes), mais déséparatrice, où l’on reprend tout à zéro en prenant en compte le Tout, le Rien, et tout ce qui n’est pas seulement ceci ou seulement cela. une revue d’ « art », car c’est encore dans ce qu’on persiste à nommer ainsi [mais qu’il vaudrait mieux nommer (h)art, pour ne pas oublier qu’on ne sait pas ce que c’est] que l’on trouve le plus de transfuges perpétuels, mais d’art in-contemporain, car ce qui est digne d’intérêt dans l’art contemporain va à contre-courant de l’époque, une revue illustrée d’(h)art et d’istoire de l’(h)art in-contemporain, donc, en même temps qu’une revue de poésie humoristique (moins ou plus drôle), de philosophie philubrique, de théologie avec diables au logis, de mystique explosée, de nihilisme joyeux, de bibliophilie erratique et terratique, de critique médulaire, de méta-images, de ‘pataphysique électronique, de transcendantalités minuscules et d’infinimitésimalités transfinies.

 

 

Titre :                                     L’HOMARD DE LOURDES 

              PERSPECTIVES DÉPRAVÉES 

              LE CHEVAL DE SEL 

              ABERRATIONS –

              ¡ NON ! 

               L’HARANGUE -OUTANG

               NOUVELLES HYBRIDES

                LES TRIBULATIONS DU CAMÉLÉON

                Excentriques de gravitÉ –

 

 

 

 J’attends un nouveau type d’art, qui n’aura peut-être pas grand chose en commun avec l’art d’aujourd’hui : ce sera une autre manière de voir les choses, qui mettra certainement longtemps à cristalliser en une forme définie mais se manifestera alors comme une discipline sans précédent. Ce ne sera ni de la poésie, ni de la peinture, ni de la sculpture, mais quelque chose d’entièrement différent . 

Jiří Kolář Réponses

 

 

Objet : à partir de pensées visualisées qui semblent plus ou moins tout à fait pas sérieuses, r é f l é c h i r notre être multiple, contradictoire, notre hybridité, notre être monstre.

Sujets ? : des questions situées un peu au-delà des derniers cercles de la perception des contemporains, mais très centrales néanmoins.

Exemples : – De quelques difficultés à utiliser l’échelle à mesurer le poids de la grâce – Des errances en atoll qui nous séparent d’un calendrier mondial de la tolérance – Du bon humour dans ses rapports avec le mauvais goût, et inversement – Des livres monstres – D’une tératologie poétique, et de ses rapports avec l’autre – Prolégomènes à une étude comparative du degré de sérieux dans les monochromes pour rire et les autres – Eléments pour une nouvelle déclinaison du Déclin du mensonge – Des illustrateurs traîtres – Une couche d’infra-mince ? – De quelques récents progrès dans le traitement des allergies à la réalité – Des cabrioles macabres – De la mystification envisagée comme un nouvel bel art – De l’exploitation des mines de rien – Au delà du principe de l’Impossible – Du cameléonisme, honni ou pas – Promenades du paon en dehors de la zoologie – Continuations de l’or – Le chamboultou de la pensée en C (comme Contemporaine) – Pataprolégomènes à la ‘pata-‘pataphysique – L’art est l’oxygène de l’âme – De l’impossibilité d’une photographie surréaliste et de son existence néanmoins – Pourquoi les philosophes ne comprennent rien à l’art, et les artistes deux fois muets – Tristes exotismes autistes, et les autres

Comment ? : par tous les moyens, y compris et d’abord ceux qui sont tenus à grande mais peu respectueuse distance par les autoproclamés propriétaires de la pensée, comme récits fictifs, faux témoignages, pseudo-discours, simili-traités, aphorismes calembourés, « texticules », collages, dessins impossibles, gravures fantastiques, photos de ce qui n’existe pas, œuvres qui ne sont pas de l’art …

Avec ? : des contributions volontaires de poètes-écrivains-artistes-philosophes contemporains – sans limitation d’âge, de sexe ou de nationalité – qui se reconnaissent dans cette manière modérément bonsensique de chercher la vérité, et des contributions involontaires, ramenées de nos incessantes explorations dans l’histoire oubliée de la sagesse-par-la-folie.

Donc : une revue inclassable, faîte d’éléments inclassables (plutôt très cassables), réfléchissant sur l’inclassable et se faisant le miroir de toute la création inclassable, d’aujourd’hui comme d’hier.

Aspect : omelette norvégienne : extérieur XIXème, intérieur XXIème babélien, tous siècles convocables