À la différence des concours de beauté féminine, dans lesquels les candidates passent et repassent devant les yeux plus ou moins facilement éblouïssables (en fonction moins ou plus directe des pots de vin qu’ils ont ou n’ont pas reçu) des membres du jury confortablement assis, les concours de beauté artistique exigent du candidat juré qu’il se déplace d’oeuvre en oeuvre et de salle en salle, en restant devant chaque peinture, sculpture ou machin moderne le temps nécessaire à son âme et conscience pour se faire une opinion, et à la longue cela peut être fatiguant. Hurli Baba, notre nouveau collaborateur, soucieux, en bon berlueur, de soulager les misères de ses camarades d’époque, a trouvé une solution à cette difficulté : « Et si« , a-t-il pensé, « au lieu de faire venir les scrutateurs aux oeuvres, on les leur apportait – pour ainsi dire – sur un plateau ? » Je vois un lecteur qui ricane bêtement devant son écran, persuadé qu’il est que ce n’est pas possible. Eh bien, lecteur ricaneur, tu es dans l’erreur ! Non solum les nouveaux appareils photo numériques permettent de réaliser, assez facilement même, ce qui, il y a dix ans seulement, était exclu, sed etiam les photos qu’ils font révèlent des aspects des tableaux qu’on ne peut pas voir à l’oeil nu.

Dans cette nouvelle rubrique de L’Hurlu berlue (ex NHbis), Hurli Baba vous présentera certaines des beautés artistiques qu’il aura pu dérober – le plus souvent légalement – au cours de ses voyages dans les cavernes-musées des anciens nouveaux ou des nouveaux anciens mondes, assorties de commentaires tendancieux visant sans vergogne à vous arracher des exclamations d’admiration à n’en plus finir (les remerciements sont, paraît-il admis).

Aujourd’hui, et pendant deux, trois ou même quatre fois, vous aurez droit à des peintures de la Kunsthalle de Hamburg, qui, à son avis, en matière de collection d’art européen de la Renaissance au XXème siècle, pourrait sérieusement prétendre à une des premières places.

Les six saints du maître de l’autel des pieds nus de Göttingen ont l’air sympathiquement ahuris

L’homme aux larmes de Maître Francke (1435) a l’air de poser

Le boeuf et l’âne de la nativité d’Hans Scheüfchen (vers 1508) se prennent sans doute pour les premiers rois mages

Les saints sculptés et peints par Maître Bertram (1379-1383) n’ont pas attendu l’âge baroque pour se mettre à danser

ceux-là non plus

ni ceux-ci

et les peintures de son retable semblent d’un douanier Rousseau trop porté sur l’or

Dans le Jugement dernier de Jan Provost, peint entre 1490 et 1505, l’épouvante est incognito

Ce n’est pas le baron de Crac qui a peint, vers 1576, Mette (Mathilde) von Münchhausen, mais un certain Ludger Tom Ring (1522-1584)

une Flora peinte en 1559 par Jan Massys (1509 – 1573) est bien appétissante, dans le genre beauté blanche passée de mode depuis le Front pop

une Caritas de Lucas Cranach le jeune (1515 – 1586), peinte 20 ans auparavant, l’est beaucoup moins (appétissante), a l’air d’une femme miniature

la posture de la Madeleine (?) au pied de la croix dans la Crucifixion de Jan Gossaert (vers 1478 – 1532) est incroyablement artificielle

Le Saint Georges du Maître de l’autel de Döbelen (vers 1520) tue le dragon comme d’autres écrasent une mouche

La peinture des Joies de la paternité (1668) par Jan Havicksz Steen (1625 – 1679) est amusante, mais pas trop drôle

Daniel Buren est un lointain descendant de celui qui a peint ainsi le Choeur de la nouvelle église de Delft avec le tombeau de Guillaume I, prince d’Orange (un certain Gérard Houckgeest : vers 1600 – 1661). Mais la spiritualité s’est évaporée en même temps que la peinture.

Claude Gellée (1600 – 1682) n’était pas très bon pour les figures

mais il a découvert l’immensité (Adieu d’Énée et Didon à Carthage, 1675 – 76)

parfait contrepoint au Lorrain : un grand paysage « matiériste » de forêt et ruines avec des femmes lavant de la vaisselle, qui aurait beaucoup plu à Constable mais aussi à Dubuffet (d’un certain Alessandro Magnasco, dont j’ai oublié de noter les dates)

ce philosophe peint par Fragonard (1732 – 1806) est déjà très romantique, et il a l’air d’un prophète, mais serait de peu d’utilité pour reconnaître des philosophes contemporains

enfin … même pour reconnaître un philosophe contemporain de Fragonard : ce monsieur qui a plutôt l’air d’un vieux romain blasé est Emmanuel Kant, portraituré en 1801 – trois ans avant sa mort – par un certain Friedriech Hagemann

mais comme le XVIIIème siècle artistique est emmerdant ! heureusement qu’il y a eu Watteau, Hogarth et Goya ! bien sûr, il y a des chefs-d’oeuvre de kitsch, comme cette allégorie de « La liberté ou la mort » de Jean-Baptiste Regnault (1754 – 1829), mais, comme disait Gabriel, yapaklarigolade, …

Courbet est grand.

Courbet (1819 – 1877) est très grand. (Les hystériques de l’Origine du monde pourraient s’aviser que cette « source » en est une autre, un peu plus indirectement érotique, mais sinon …)

Même quand il peint ce qui sort des origines, Courbet est un très grand peintre (lui-aussi « matiériste » longtemps avant Tàpies ou Dubuffet).

un tableau-esquisse d’un certain Ambroise Thomas, qui semble avoir contribué à son oubli (Jean-Baptiste Faure dans Hamlet, 1875-77)

Nanarmonie en bleu-blanc-noir (Manet est aussi clair que Courbet est sombre – Titre possible : préparatifs pour déjeuner sur l’herbe)

beaucoup moins connu, mais non moins magnifique : le portrait de la très belle Carolina Grassi par Peter von Cornelius (1783 – 1867), qui de toute évidence n’était pas sujet au syndrome du chef-d’oeuvre inconnu

une version assez inquiétante du « vert paradis des amours enfantines » (Philippe Otto Runge, 1777 – 1810 : Les enfants Hülsenbeck, vers 1805)

Les mêmes, par le même : non moins inquiétants

Un certain Moritz von Schwind (1804 – 1871) a peint ses cinq aînés (vers 1839), et c’est comme s’il avait voulu évoquer une dernière fois des enfants morts

Carl Spitzweg (1808 – 1885) n’est pas moins académique que presque tous ses contemporains, mais il reste intéressant par ses sujets (ici Touristes dans les montagnes, avant 1869 – ils ont aussi L’observateur d’étoiles, vers 1863), dont le caractère curieux et comique est servi par ses petits formats (entre A4 et A3)

avant de devenir l’empereur des pompiers (de Napoléon le petit), Ernest Meissonier (1815 – 1891) a peint des petits tableaux « de genre » (quelle drôle d’expression) pas mal du tout (Les joueurs d’échecs, 1856)

Du même Meissonier, Le peintre d’enseignes, 1872 (donc il a continué ce genre de peinture alors même qu’il avait atteint les sommets de l’épopompiérisme)

Alster I : premier de trois petits Vuillard (1868 – 1940), peints pendant un séjour à Hambourg en 1913, qui montrent que pour un peintre intimiste même un paysage portuaire est intime

Alster II

Alster III

Redon (1840 – 1916) hallucinant de beauté hallucinée, comme toujours (La barque, vers 1900)

 

Vous avez quelque chose contre le symbolisme ? – Maurice Denis (1870 – 1943) : Madame Adrien Mithouard et son fils Jacques, vers 1903 –

 

sphinge ailée ? ange fatale ? un symbolisme moins tranquillement bourgeois, en tout cas – Ferdinand Khnopff (1858 – 1921) : masque (vers 1897) –

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2 Réponses »

  1. Sympathique ce petit aperçu de la hamburger kunsthalle pour parler dans la langue.
    Très beau musée qui mériterait un récapitulatif plus long, histoire de ne pas laisser en route certains trésors flamands, quelques petits – mais délicieux ! Rembrandt, une flagellation du Christ par Tiepolo parmi ses plus grands (pas en taille) chef-d’œuvres, et des Gaspard Friedrich mondialement célèbres devenus des symboles de l’Allemagne.
    Ceci dit : OUI ! « Courbet est grand », mais les Meissonier de cette collection sont mieux que « pas mal du tout ». N’est-ce pas ?
  2. Jolie balade parmi ces tableaux… mais le portrait de Jean-Baptiste Faure en Hamlet est d’Edouard Manet et non d’Ambroise Thomas qui était le compositeur de l’opéra Hamlet. Le portrait « fini » de Faure se trouve également en Allemagne , à Essen, au Folkwang Museum.