Quelle drôle d’expression ! Peuvent pas dire « heureux comme un coq (d’origine française contrôlée) en pâte », comme tout le monde ? Quoique … cela est aussi une bien curieuse locution, à laquelle les coqs trouveraient certainement beaucoup à redire – ou à chanter. Mais Dieu peut-il être heureux ? Spinoza démontrerait qu’une telle idée n’a pas de sens, témoigne d’un anthropomorphisme crasse, mais il admettrait sans doute que Dieu puisse être plus heureux dans certains pays que d’autres, où l’on tient moins ou prou compte des exigences de la nature humaine. À son époque, il aurait probablement préféré la variante « Heureux comme Dieu en Hollande« , mais en empruntant une machine à voyager dans le temps faisant escale à notre époque, il aurait vite compris que la tolérance post-voltairienne à la française, faisant une très large place aux athées et aux libres penseurs, était plus cool (enfin … il aurait peut-être formulé les choses autrement), et qu’il valait mieux dire désormais « heureux comme Dieu en France« . Il se serait peut-être même demandé pourquoi Dieu crée des pays où il n’est pas heureux, en beaucoup plus grand nombre même que ceux où il l’est (ce qui demande aux habitants de ces derniers beaucoup plus d’intelligence et d’ingéniosité que les pratiques brutalement terrifiantes de ceux qui règnent sur les autres), et sa conviction moniste ne l’aurait peut-être pas dissuadé de reconnaître la nécessité de supposer une puissance du Mal à laquelle il arrive un peu trop souvent de l’emporter.
Quoi qu’il en soit, l’internaute santabarbarien (= de Santa Barbara, municipalité de 88 978 habitants située sur la côte de Californie au pied des Santa Ynez Mountains, face à l’océan Pacifique, à l’ouest des États-Unis. Son climat, ses plages et ses maisons couvertes de toits en tuiles canal lui valent le surnom de «riviera américaine ») qui a posté ce billet deux jours après les massacres de Paris a l’air de penser que, jusqu’à vendredi dernier, en France, et particulièrement à Paris, Dieu était encore plus heureux qu’en Californie :
« La France incarne tout ce que les fanatiques religieux haïssent : la jouissance de la vie ici, sur terre, d’une multitude de manières : une tasse de café qui sent bon, accompagnée d’un croissant, un matin ; de belles femmes en robes courtes souriant librement dans la rue ; l’odeur du pain chaud ; une bouteille de vin partagée avec des amis, quelques gouttes de parfum, des enfants jouant au jardin du Luxembourg, le droit de ne pas croire en Dieu, de ne pas s’inquiéter des calories, de flirter et de fumer, de faire l’amour hors mariage, de prendre des vacances, de lire n’importe quel livre, d’aller à l’école gratuitement, de jouer, de rire, de débattre, de se moquer des prélats comme des hommes et des femmes politiques, de remettre les angoisses à plus tard : après la mort.
Aucun pays ne profite aussi bien de la vie sur terre que la France.
Paris, on t’aime. Nous pleurons pour toi. Tu es en deuil ce soir, et nous le sommes avec toi. Nous savons que tu riras à nouveau, et chanteras à nouveau, que tu feras l’amour, et que tu guériras, parce qu’aimer la vie fait partie de ce que tu es. Les forces du mal vont reculer. Elles vont perdre. Elle perdent toujours. »
Bigre ! Castafiorons en choeur, mes soeurs (et de pair, mes frères) :
« Ah, je ris de me voir si belle (c’est la France qui parle) en ce miroir ! »
Nous sommes si aimables que ça ? Il n’a pas confondu avec un autre Paris ? (on sait grâce à Wim Wenders qu’il y en a un au Texas, mais la densité en cafés a l’air assez faible). Nous, nous sommes râleurs, méfiants, hâbleurs, pédants, weight watchers, maniaques des limitations, politictocards, métaphysiquement déficients – pataphysiquement pas beaucoup mieux -, adeptes du Big Bang oublieux des Big Brothers, modérément drôles, et il y en a parmi nous qui mettent de l’eau dans leur vin !
Mais non, il faut s’y résigner : nous vivons dans un pays où il fait bon vivre,
une sorte de Paradis terrestre *,
très convenablement bleu,
et il y en a très peu.
Mèzalor, mèzalor, … pourquoi ne pas le dire ?
°
* Inversement, les pays islamistes sont à nos yeux d’assez bonnes approximations de l’Enfer
(un Enfer noir, sans la beauté du Diable)