à propos de Journal de bord de Paul Valéry,

éditions pagine d’Arte, 84 p – 28 €

 

 

Les éditions Pagine d’Arte ont eu l’excellente idée de publier un choix de pages des carnets de Paul Valéry, et les pensées retenues comme les reproductions et les textes d’accompagnement (Jean-Louis Schefer et Martine Boivin-Champeaux) font un livre à la fois beau et intellectuellement très stimulant.

Poète, essayiste, philosophe nourri de mathématiques mais n’oubliant jamais l’art, amateur d’art sensible à la musique mais à la peinture plus encore – ses deux peintres majeurs étant Léonard de Vinci et Degas -, aquarelliste passable, … Paul Valéry (1871 – 1945) a été un de ces esprits beaucoup trop rares qui refusent les spécialisations proposées par leur époque et tentent d’atteindre une (pas si) utopique universalité. Dans ses cahiers (des milliers de pages), où il notait ses pensées à l’état naissant, il essayait souvent de reconstituer par des aquarelles rapides les paysages, les intérieurs ou les personnes qu’il avait devant les yeux. Cela donne des associations d’écriture et de peinture qui ont le charme de ces cartes postales du début du XXème siècle sur le recto imagé desquelles on n’hésitait pas à écrire. Mais dans ce « Journal de bord » – où l’on chercherait en vain des « misérables petits secrets » -, c’est d’abord à lui-même qu’il écrivait, pour lui-même qu’il peignait. Et de ce fait, il se tenait au plus près d’une des fonctions essentielles de la peinture (fixer ce que l’oeil voit, et pour cela le voir plus précisément et intensément : intensifier la sensation en la pérennisant) comme d’une des fonctions essentielles de l’écriture (prendre conscience de ce qu’on pense en le rendant lisible).

À la différence d’un Victor Hugo qui, comme dessinateur et aquarelliste, anticipe l’informel, Valéry n’essaye pas d’aller au-delà de la modernité de Turner et des impressionnistes, ce qui correspond bien à son désir de sauver quelques « secondes d’éternité » du rouleau compresseur du Progrès, et il ne semble pas qu’il aie voulu exposer ses œuvres. Comme penseur et « écrivain », par contre, il s’oppose radicalement – et malicieusement – à la bêtise positiviste de son époque (Alfred Jarry l’estimait au point de lui donner du « pataphysicien » et de lui dédier le chapitre XXV de FaustrollDe la marée terrestre et de l’évêque marin mensonger) : beaucoup de ses réflexions tournent par exemple autour de l’hétérogénéité absolue de l’esprit (immatériel et procédant par ordre, de manière intentionnelle) à la nature (matérielle, aveugle et dépourvue de plan). Et il aboutit ici et là à des aphorismes fulgurants, comme

« Peindre la nature est et doit être,

essayer par l’esprit

de ne pas suivre les voies de l’esprit ».

 

 

Port peint / port décrit

pas si près de la Chine, ou du Japon