« Pour une sonnerie, c’est une belle sonnerie »

Bobby Lapointe Ta Katie t’a quitté

 

Une fois de plus *, nous avons une bonne raison d’être fiers du Centre Pompidou, qui ne ménage jamais ses efforts pour élever notre niveau de conscience et de sensibilité artistique, donc notre humanité. La grande retrospective de l’artiste vivant le plus cher du monde (23,6 millions de dollars pour le Hanging heart en 2007, 12, 9 millions de livres pour Balloon Flower Magenta en 2008, 58,4 millions de dollars pour le Balloon dog en 2014, mais, bien que « souvent, les gens se focalisent sur l’argent« , que « l’argent a inondé le monde de l’art » et que « les amateurs ont multiplié les collections« , ce qui est « fantastique pour toutes les formes de créativité« , la vraie valeur de l’art, c’est sa capacité à changer la vie des gens«  ), Jeff Koons, est une occasion unique d’affiner son goût en matière d’art.

Le ou la dinosaure que vous êtes probablement – si vous lisez encore des articles longs comme celui-ci -, pensait sans doute, avec son cerveau gros comme une noix, qu’une oeuvre était admirable à raison de ses qualités d’invention et de réalisation, soit de l’intelligence poétique et artistique qu’elle manifeste. Haha, lècémoarir, kelerörétèlavôtr ! Avec de tels critères vous pourriez penser que Marcel Duchamp est infiniment supérieur à Jeff Koons, alors qu’il ressort évidemment d’une visite même rapide de l’exposition qui lui est dédiée – au même étage que les bimbo-kitscheries hypergonflées de l’américain, mais dans des espaces réservés aux artistes de second ordre -, qu’il a complètement perdu de vue l’évidence que doit avoir une oeuvre digne de ce nom, qu’il attendait de ses « regardeurs » une intellectualité et une intelligence bien supérieure à ce qu’elles peuvent être dans le meilleur des cas, et qu’il n’a  compris de l’amour que les 90 % qui n’en impliquent aucun. Les Oeuvres Oedématiques de l’hOmme qui aime les O et les milliOns – par prédestinatiOn OnOmastique ? -, au contraire : sont accessibles même à des enfants qui ne sont allés qu’une fois à Disneyland ; sont réalisées si parfaitement qu’aucun parent n’oserait dire que sa progéniture pourrait en faire autant ; ne demandent des spectateurs aucune réflexion et reposent sur une compréhension sans faille des fondamentaux de l’amour humain, qui veut – hyperboliquement –

du grand,

du lisse,

du miroitant,

du rond,

du sexy

du mignon,

du clinquant

et du populaire **. 

 

 

Koons se voit à juste titre comme héritier de Duchamp, inventeur des readymades, mais l’élève a complêtement dépassé le maître :

– le readymade nouveau n’a que les apparences d’un objet achetable dans n’importe quel bazar (américain), en réalité il doit être fabriqué par une centaine d’assistants, qui prennent le temps qu’il faut (il faudrait de ce fait un terme nouveau, peut-être « handreadymade » ; notez qu’une telle innovation a supposé le courage de s’opposer à la déplorable tradition contemporaine de l’art facile, « appropriationniste »)

–  l’auteur de La mariée mise à nu par ses célibataires, même déclarait choisir ses readymades (rares : il n’en a « fait », délibérément, qu’une dizaine) en fonction d’un « principe d’indifférence », étranger au bon comme au mauvais goût (en réalité le plus célèbre d’entre eux, l’urinoir promu fontaine, est de très mauvais goût, comme la plupart des « texticules » ou l’esprit général du Grand verre, et ce n’est sans doute pas par hasard) : l’auteur de Puppy ou de Popeye choisit ses motifs dans l’imagerie populaire étazunienne, dont le mauvais goût – y compris de celui de sa pop-pornographie à l’usage des familles – n’est plus perçu que par quelques rares rescapés de la culture classique, en fonction d’un principe de célébrité et de popularité

– les oeuvres de Duchamp – readymades compris – sont énigmatiques et semblent reposer sur une philosophie mécaniste appliquée à l’endroit où elle semble le plus intenable en prenant appui sur les spéculations les plus hardies de son temps : à travers de multiples formes gonflables, les oeuvres de Jeff K. proclament sans ambiguïté que l’homme est essentiellement creux, en s’appuyant sur l’inculture la plus radicale de son temps

–  Duchamp n’a jamais été riche, et ses oeuvres n’ont acquis une valeur marchande un peu notable que vers la fin de sa vie, cet ami de Salvador Dali n’était pas un autre Avida Dollars, cet artiste essayiste, plus spéculateur – intellectuellement et artistiquement – qu’aucun de ses contemporains, n’avait aucun sens de la Spéculation : Koons a été bien plus habile;  célèbre très tôt, il s’est arrangé pour que ses pseudo-provocations soient connues du monde entier, et il est devenu l’artiste le plus apprécié des milliardaires nouveaux riches – dont Madoff, le célèbre escroc critique d’art. Or,

 

étant données  1. la chute de la valeur artistique des oeuvres

2. la hausse inversement proportionnelle de leur valeur marchande

3. la pertinence critique des jugements des riches

(dont le goût pour les subtilités de la culture est bien connu)

les oeuvres les plus chères

sont de toute évidence

                                                 les meilleures    

 

 

* Cf Les impostures du présent http://nouvelles-hybrides.fr/wordpress/?p=1822 ou L’heure des objets de conscience surréalistes http://nouvelles-hybrides.fr/wordpress/?p=6102

** Il y a eu autrefois un type, un certain Moïse, qui pensait que cette conception idolâtre de l’amour devait être combattue, et il écrasait à coups de tables de la Loi les veaux d’or qu’il croisait sur son chemin, mais c’était il y a longtemps, et pas chez nous …

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6 Réponses »

  1. Une irrésistible envie de crever les objets de cet art gonflable – l’organisateur l’avait anticipé: je n’ai jamais vu autant d’alarmes qui fonctionnaient au Centre Georges Pompidou. C’est vrai que ça donne envie de toucher. Mais on ne peut pas. Cette frustration tactile est l’apport fondamental de cette expo.

    J’ai imaginé aussi que nos amis tchèques et slovaques y auraient pratiqué quelques froissages,  et cela aurait été tout de suite plus intéressant.

    Noté également que c’est, peut-être, le premier artiste de l’histoire muséale qui a mis un anus au centre d’un tableau. La naissance de quel monde? Sade aurait acheté.

     

  2. oui, ça m’a aussi donné des envies de destruction,

    comme les pétasses que j’avais autrefois parmi mes élèves me donnaient des envies de torture

    mais ces insolentes saloperies sont increvables, infroissables : invulnérables,
    et elles sont une parfaite expression du monde dans lequel nous vivons
    (en marge descendante, comme les dixièmes de riches que nous sommes) !

     

  3. “en réalité le plus célèbre d’entre eux, l’urinoir promu fontaine, est de très mauvais goût, comme la plupart des « texticules » ou l’esprit général du Grand verre, et ce n’est sans doute pas par hasard”

    D’ACCORD! — gardien du temple du Champion, Arturo Schwarz a mal réagi à la révélation par Papiers Nickelés d’un dessin “de bas étage” comme source d’Étant donné, sous prétexte que “Marcel était un homme de haute culture”.

    Chez Koons, l’absence totale de tout goût ou dégoût personnel est censée rejoindre le goût “populaire” pour la bonne…facture du “ready-made”.

    Pour poursuivre, avec l’aval des KOONSlectionneurs, son chemin vers le DOUBLE ZÉRO du chèque en blanc, Blistène fait mine de marcher dans la combine du sourire cheese, avec BOB-OURS dans sa manche.

    Cela dit, le point de départ du succès reste quand même, dans une situation critique, la pointe d’ironie glaciale de l’IRON, restant à débattre sur la planche à repasser les billets: suffit de mettre un doigt de pied dans le sacro-saint Marché de l’art pour s’apercevoir que, dans la tête de l’Artiste le plus “pur”, subsiste le MIRO-ART aux alouettes: devant la splendeur présumée de ma “collection” à Vannaire, Martine de La Châtre n’a pas hésité à me proposer, comme cerise sur le gâteau, “un RUTAUT“! — dans sa Maison rouge, Antoine de Galbert avait déjà marché dans la combine des…“particules élémentaires”, avec “château ” à l’appui.

    Les apparences, FAUT PAS S’Y FIER, sinon…dans l’urgence de la VENTE: quoi de plus “gros” que de spéculer sur l’imminence de…sa propre fin de “collectionneur de haut vol”.

    B.

  4. le triomphe planétaire de Koons, c’est comme si l’héroïne de Crooks, but not always (Escrocs mais pas trop) décidait pour le monde de la valeur artistique de tout ce qui y prétend, et trouvait des artistes pour faire des choses conformes à son goût

    dans la comédie de Woody Allen, elle finit ruinée et repart de zéro, mais dans la réalité elle (par l’intermédiaire sans doute des femmes des milliardaires collectionneurs) règne sur un monde de l’art de plus en plus identifié au monde de la haute finance, qui nous mène rapidement et sûrement vers une ère de catastrophes humaines inimaginables …

    e.

  5. Aux grands morts les grands ready-made…
    Et bientôt tout sera « koonsumé ».

     

  6. et l’a-société de koonsommation est à la société de consommation

    ce que l’ultra-libéralisme est au libéralisme à la papa …