Otis en diable-génie rentrant dans sa boîte (fin années 60)

(couverture de la monographie que lui a consacrée Jana Geržová en 2001)

 

 

Otis Laubert : Bonjour, Monsieur Duchampagne !

idée 1993, réalisation 2008 – 30.190.80 cm – photo Jozef Cesla

Hier, à l’auditorium de la médiathèque de Châteauroux, j’ai commenté un peu le film qu’Alain & Wasthie Comte ont réalisé avec moi sur l’artiste slovaque Otis Laubert, qui dans d’hypothétiques histoires de l’art prenant enfin en compte ce qui s’est créé dans les « pays de l’Est » sous la dictature communiste, devrait être reconnu dans la constellation où figurent déjà les grands retraiteurs d’objets que furent ou sont Robert Rauschenberg, Claes Oldenburg, Jean Tinguely, Arman, César, Daniel Spoerri, Fischli & Weiss ou Tony Cragg. Comme 1. certains de mes correspondants n’avaient pas pu faire le voyage de Châteauroux (ou ont trouvé – aprèleurcèpluleur – porte close) 2. il y avait dans ce que j’avais préparé plusieurs choses importantissimes que je n’ai pas eu le temps de dire  3. on peut préférer lire à entendre, ou aimer lire après avoir entendu (par exemple pour vérifier qu’on a bien entendu) 4. ce n’est pas trop long : j’ai décidé de faire un article du texte postpréparatoire de ce commentaire. Il est préférable bien sûr de commencer par voir le film, en allant par exemple sur Vimeo à https://vimeo.com/122211446, mais si vous voulez une qualité parfaite il vaut mieux commander le DVD – accompagné d’une pochette richement illustrée et d’un livret bien fourni en entretiens et repères – en envoyant un chèque de 15 euros aux Éditions du Céphalophore entêté 84 rue Montaigne 36000 CHÂTEAUROUX. (On peut toujours voir le montage d’extraits de tous les films contenus dans le coffret Ateliers de curiosité en ex-Tchécoslovaquie – commandable même adresse 70 euros – en allant à vimeo.com/108168370)

 

 

Otis Laubert : détail d’Outsider, 1988

– installé désormais en permanence à la Galerie nationale Slovaque de Bratislava –

Otis Laubert : autre détail du même environnement

Otis Laubert : autre autre détail du même environnement

   Ça c’est une caverne d’Ali-Baba ! Mais les trésors qu’elle contient n’ont pas été volés, et pour la plupart des gens ce ne sont pas des trésors. Plutôt des riens, du genre de ceux qu’on trouve dans les vide-grenier, brocantes et autre marchés aux puces, l’utilité en moins : les objets ramassés par Otis ne sont pas « récupérables » pour un nouvel usage, ils ne l’intéressent que du point de vue esthétique et comme matériaux artistiques. On pourrait définir l’art singulier d’Otis comme

l’art de faire quelque chose avec des riens

   Leibniz (1646 – 1716) se demandait pourquoi il y a Quelque Chose plutôt que Rien, et il répondait en invoquant Dieu et en démontrant que ce quelque chose n’était pas n’importe quoi, mais le meilleur des mondes possibles. Otis Laubert (né trois siècles plus tard, en 1946) n’est pas du tout philosophe au sens rationaliste du mot : il « marche » à l’imagination et à l’intuition, pense par analogies paradoxales, sa culture est essentiellement artistique ou plutôt dadartistique. Il n’a pas besoin de démonstrations pour croire à l’incroyable Providence divine, mais il est préoccupé par des riens, et par le souci d’en faire quelque chose. Ou encore, plus précisément : il voit la beauté de certains riens, et sait la faire apparaître, la rendre sensible. (Il y a une réelle parenté avec Leibniz, qui a beaucoup réfléchi à la question jamais soulevée avant lui de l’émergence de perceptions conscientes à partir d’innombrables micro-perceptions inconscientes – la mise au point du calcul infinitésimal relève du même genre de préoccupations : Otis, philosophe brut d’après l’existentialisme, a beaucoup réfléchi – more artistico – à la question peu soulevée avant lui de l’apparition des riens, de leur métamorphose en quelque chose, et ses mal nombrables « travaux » sont autant de réponses à cette question, plus ingénieuses et inattendues les unes que les autres. L’art de faire apparaître des riens aurait été aussi un bon titre)

   Quel genre de riens ? Des petits objets jetés après usage, comme boutons, médailles, dessous de bière, capsules, bouchons, pièces de monnaie, capuchons de feutre mâchouillés, « chutes » de papier peint, gribouillis trouvés, pochettes de disques, fers à semelles, broderies, cartes postales, pin’s, jouets en plastique, fleurs artificielles, animaux miniature, boîtes d’allumettes, paquets de cigarettes, tickets et billets de toutes sortes, échantillons de tissu, … Des petits objets qui, après usage, n’ont plus de valeur que pour quelques rares collectionneurs paradoxaux comme Raymond QueneauFrançois CaradecDaniel SpoerriCuecoFanny Viollet ou Hervé Le Tellier (mais pas des déchets : Otis insiste toujours pour ne pas être confondu avec ceux qui font du « junk art », avec des contenus de poubelles, des matières organiques en décomposition : « Lorsque j’ai fait l ‘installation Outsider, les gens ont dit qu’Otis avait accroché des petits objets de toutes sortes, des bouts de papier, des chiffons, des trucs et des machins, mais il n’y avait ni tissu, ni papier ni aliments, c’est-à-dire rien de ce qu’on trouve ordinairement dans les poubelles. Je n’ai jamais utilisé de mégots de cigarettes ou de ces choses qui dégoûtent les curieux, et je n’ai jamais « fait les poubelles ». Mon but n’est pas d’éloigner l’art des gens, mais de le rapprocher plutôt. » – Plus généralement, Otis ne critique pas ces objets de pacotille qui sont ses pigments : à la différence de beaucoup d’artistes contemporains qui sont installés dans la dénonciation, il reste fidèle au grand lyrisme orphique d’Apollinaire, Klee, Cocteau, Schwitters, Arp, Breton, Queneau, … c’est un enchanteur, pas un dissipeur d’illusions). Des objets qui, même à l’état neuf, sont ordinaires, pas précieux, et que l’on jette sans le moindre scrupule après s’en être servi. Des objets on ne peut plus éloignés du monde des œuvres d’art, essentiellement uniques (la gageure d’Otis est de créer à partir de ces objets doublement dévalorisés – parce que communs et parce qu’ayant servi – des œuvres absolument uniques : de l’art avec du non art. On peut même dire, comme le faisait Kurt Schwitters, un de ses modèles, que la teneur en art de telles œuvres est supérieure à celle des œuvres traditionnelles, car elles ne reposent ni sur le talent ni sur la valeur des matériaux.

  Les micro-riens que recherche Otis, s’ils étaient uniquement des riens, n’auraient rien d’intéressant. Comme il le dit : a priori, ce ne sont pas des curiosités. Mais ils ont une qualité fantastique qui, si on daigne les regarder, les fait passer du côté des curiosités, et ces curiosités pourraient renouveller radicalement le contenu des Cabinets de curiosités traditionnels.

Où les trouve-t-il ? Où  celui en qui Agnès Varda aurait certainement reconnu un de ces « glaneurs » qui l’ont tant intéressés exerce-t-il son « droit de glane » ? Dans les rues, sur les trottoirs, dans les bois, aux marchés aux puces, dans les brocantes, ou encore des amis les lui apportent.

Qu’en fait-il ? Tout d’abord, il les collectionne, et les regroupe par catégories dans des cartons récupérés sur les marchés : objets noirs et blancs, objets violets, objets rouges, …, timbres, drapeaux, cartes géographiques, cartes postales, calendriers, allumettes, dés, crayons de couleurs, stylos, … Conséquence de cette pratique : sa maison-atelier, si grande soit-elle, est envahie par les cartons, et il doit vivre ailleurs. Les peintres et les sculpteurs ont des problèmes de place pour ranger leurs œuvres, Otis a d’abord des problèmes de place pour ranger les matériaux de ses œuvres, puis des problèmes de place pour ranger ses œuvres. Autre conséquence : il a dû renoncer à avoir des enfants et la femme qui va généralement avec, cette conception de l’art, très originale et à rebours des conceptions traditionnelles comme de beaucoup des conceptions modernes, implique une véritable ascèse, c’est-à-dire une privation des plaisirs et des joies ordinaires de la vie (Rudo Fila a écrit de lui qu’il était un ascète qui ne s’interdit rien, mais s’il ne s’interdisait rien, il serait le contraire d’un ascète …).

 

infime partie des infinies collections d’infimes objets d’Otis

Comment fait-on des œuvres avec ce genre de matériaux ?

– d’abord, très simplement, en les donnant à voir, en les présentant, comme on présente des papillons, des insectes : en disposant systématiquement sur de grandes feuilles ou dans des boîtes d’entomologiste des morceaux de papier aluminium, des nœuds, des lames de rasoir éclaboussés de peinture, des ouvertures de canettes de bière, des petits objets ronds et bleus, des petits objets rouges, des bouchons de feutres machouillés, des petits objets métalliques, des pièces écrasées par un tramway, … [comme les membres de Fluxus, qui se rasaient ou mangeaient sur scène pour faire voir le mystère d’actes si communs, comme les Nouveaux Réalistes qui emballaient des objets (Christo) ou en faisaient des accumulations (Arman) pour les rendre au mystère encombrant de leur présence, Otis poursuivait avec ces présentations de « collections » un but para-scientifique, semblable à, par exemple, la mise en évidence de l’infinie richesse du monde des invertébrés par Lamarck  : il voulait faire voir la richesse, la variété et la beauté fantastique infinies du monde des petits objets. Mais c’est aussi une protestation, une manière de dire : les tout petits existent, eux-aussi ont leur beauté et ont droit à l’existence artistique (à la différence d’Arman, qui, dès qu’il est devenu célèbre, s’est tellement enrichi en faisant du Arman qu’il a pu se constituer une collection de voitures anciennes, Otis, qui ne sait pas conduire, est un artiste prolétaire, qui a dû gagner sa vie pendant une trentaine d’années en collant du papier peint et en installant des vitrines. Des sept artistes sur les « ateliers de curiosité » desquels nous avons, avec Alain & Wasthie Comte, réalisé ces films, Otis est le seul à ne pas être passé par l’École des Beaux-Arts et donc à ne pas avoir le titre de « peintre académique », qui a ouvert à tous les autres les portes de l’enseignement]

 

Otis Laubert : de la série Collections, 1978

 

 

Otis Laubert : de la série Collections, 1992 et 1980

 

– une autre manière de rendre visible ce monde de micro-objets consiste à faire ce qu’on appelle des installations (qui sont aussi des environnements) :

Hypercollage : 1988, dans le cadre de la « Filiale du Musée Guggenheim à Bratislava », dont il était le créateur, l’administrateur, le gérant, le curateur d’expositions et le manutentionnaire : environnement de serviettes en papier, papiers de chewing-gum, boîtes d’allumettes, cartes à jouer, papier de chocolat, paquets de cigarettes, cartes de visite, billets de tram, de train, … tous regroupés avec d’autres exemples de la même catégorie dans une même zone isolée des autres par une frontière d’ouate

Otis Laubert : Hypercollage, 1988 –

 

Outsider (485 objets) : d’abord 1988, chez lui, puis 91 à Metropolis, Berlin ; 485 petits objets suspendus à hauteur d’yeux (impression d’autant plus ineffable qu’on ne sait souvent pas nommer ces restes d’objets)

Otis Laubert : Outsider (aotsaïdèr), première installation 1988

à la Filiale de Bratislava du Musée Guggenheim

Fluidum puis Lignes de force 90, dans le cadre de l’exposition Sondes, à la Galerie Nationale de Bratislava : montres, clefs, boutons, bobines de film, boîtes de médicaments, feutres de couleur, …sur des poutres après avoir été sur des fils

Otis Laubert : Lignes de force, 1992, Bratislava

 

La lumière des choses (96, dans une synagogue désaffectée, complètement obscurcie, objets de brocante encastrés dans un parallélépipède noir de 8m sur 4, et 2m de haut,et éclairés de l’intérieur). Maximum de résurrection de ces objets ; fait voir la dimension religieuse de son travail : pour lui ces micro-objets apportent des révélations qui, pour être sans commune mesure avec celles de la Religion catholique – Otis va à la messe chaque dimanche – , n’en sont pas moins des révélations, et une grande partie de son génie est d’avoir trouvé les meilleurs moyens de les transmettre aux autres – on notera que cette micro-religion des objets de brocante est assez largement partagée, à en juger par la fréquentation des brocantes, vide-grenier, …)

Otis Laubert : La lumière des choses – installation à la synagogue de Trnava,

dans le cadre du cycle L’art de l’aura, organisé par Jana Geržová – 1996 –

 

Alphabet : 92, Amsterdam : chaque objet choisi en fonction de la lettre par laquelle son nom slovaque commence (manière de dire que ce monde est aussi vaste et insaisissable que celui des mots du dictionnaire)

 

Otis Laubert : alphabet – exposition Hills and Mills, 1992, Amsterdam –

 

Fragment K : 92, fragments d’objets dont le nom commence par la lettre K

 

Otis Laubert : Fragment K – installation de 1992, à Bratislava,

dans le cadre de l’exposition du groupe Avance/Retard à la Maison de l’Art

 

[Il n’a pu pratiquer pleinement cette nouvelle sorte d’art typiquement « contemporain » que dans les années 90, lorsqu’il a enfin été reconnu et appelé à participer à de grandes expositions en Slovaquie comme en Hongrie, en Allemagne, en France, en Hollande ou aux USA. (Dans ces années, à Châteauroux, Gérard Laplace présentait à l’atelier Ocre d’Art une dizaine d’expositions par an et nous l’avons invité à venir faire quelque chose dans ce lieu très inspiratif : Otis est allé dans la forêt du Poinçonnet chercher une branche morte, et après l’avoir introduite dans l’espace d’Ocre d’art – ce qui a présenté quelques difficultés – il l’a couverte de fragments de miroir)]

– une dernière grande manière enfin de présenter ce monde qu’il a découvert, est de le mettre en scène pour des archéologues du futur : c’est ce qu’il a fait dans le cadre de l’exposition Le matin des magiciens au Musée d’Art moderne de Prague (mais avec des objets des dépôts de la ville de Prague)

 

Otis Laubert : Pseudo-fossiles – 1997 – Galerie Nationale tchèque, Prague –

 

– mais il y a aussi des usages beaucoup plus créatifs de ces collections, qui consistent notamment à les « interpréter » les uns les autres : photos d’objets par les objets mêmes ; calendriers par cartes postales ; grandes photos de gens en noir & blanc étrangéifiées par des dés, des allumettes, des crayons de couleurs, des boucles d’oreilles en forme de coccinelles, des objets bleus, … (« interpréter » = faire entrer les éléments choisis dans des combinaisons associatives extrêmement inattendues, qui amènent de « images » très fortes, dans la pure tradition des image surréalistes et du « beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie » (6ème chant de Maldoror). L’art d’Otis est un art poétique ou, si l’on préfère, une poésie qui passe avant tout par un langage d’objets-signes, une poésie qui, comme l’art des artistes-poètes surréalistes, s’oppose à la poésie de mots, qui a perdu beaucoup de sa vigueur depuis qu’elle s’est libérée des contraires de la versification, du rythme et même de la logique et du sens.)

Otis Laubert : de la série Interprétations tridimensionnelles, 1979

 

Otis Laubert : de la série Interprétations tridimensionnelles, 1979

 

Otis Laubert : de la série « Dédoublements« , 1978-1979

 

Otis Laubert : de la série « Dédoublements« , 1978-1979

 

Otis Laubert : ( les regards dés ? mais ça ne marche pas en slovaque ), de la série Photographies, années 80

 

Otis Laubert : des yeux de hérisson, de la série Photographies, 1989

 

 une autre modalité paradoxalement créative, car elle passe par une phase destructrice, consiste à les traiter à rebours des usages des collectionneurs ou des utilisateurs : timbres perforés, brûlés, dents coupées, coupés en deux, évidés, mis sur un clou à factures, recouvrant une veste, … ; livres collés, troués, brûlés, « blindés », traités comme support d’ornements, comme contenu de timbre poste, …

Otis Laubert : le facteur (détail), 1985 –

 

– une autre autre modalité, dont le caractère ornemental dissimule la nature essentiellement paradoxale, consiste à utiliser ces objets comme des ornements : en en remplissant, par exemple, des tissus à motifs de damiers, selon la couleur imposée par l’imprimé ; en s’en servant pour recouvrir des vestes (de timbres pour le facteur, de pin’s pour le collectionneur, d’allumettes pour le pompier, de pièces pour l’avare, …) ; en utilisant des fers à chaussures pour composer des motifs de tapis, ou des brosses et des équerres d’école pour faire une composition décorative ; en utilisant des drapeaux essentiellement pour leurs qualités colorées et plastiques, en tenant à peine compte de leur caractère symbolique

Otis Laubert : Commentaire d’un tissu commercial (détail), de la série Tapisseries, 1982

 

Otis Laubert : Ornement de chez ornement, 2008 – 100.220 cm, assemblage –

 

Otis Laubert : « Tous unis malgré nos différences« , 1994 -148.231,5 cm –

– une modalité plus franchement créatrice consiste à combiner certains de ces éléments pour créer de nouvelles sortes de choses : bouchons de liège et petits objets plantés dedans > nouvelles fleurs ; faux vases anciens par assemblage de verres d’aujourd’hui (Baroque fin de XXème siècle, 1998)

Otis Laubert : Le baroque de cette année, 1998, 2/15

 

Baroque XX

Otis Laubert : le Baroque de cette année, 1998 – 1/15 –

 

Otis Laubert : Bicyclette 1 – 115.190.60 cm – 2008

 

Un artiste slovaque ami d’Otis, Dezider Tóth (1948), a créé en 1980 le Championnat de Bratislava de transposition d’une œuvre d’art, où chaque participant avait neuf mois pour élaborer une version actuelle d’une œuvre librement choisie dans toute l’histoire de l’art, d’Altamira à Warhol, selon un thème comme « la lumière », « le secret », « le mythe », et la présentait à ses collègues-concurrents un soir de décembre, chez l’un d’eux, à l’abri de regards officiels indiscrets. Otis a participé à chacun de ces « championnats », et le mot « transposition » nomme très bien une grande partie de son « travail » : les vases et les lampes baroques fin de XXème siècle sont typiquement des transpositions d’un grand art révolu dans le langage beaucoup plus modeste des objets utilitaires contemporains ; les compositions de papiers trouvés sur son lieu de travail « à la manière de » l’art japonais sont des transpositions des œuvres d’une très haute culture avec les moyens d’une culture beaucoup plus basse ; les dessins trouvés qui peuvent évoquer, très librement, les périodes rouges et bleues de Picasso sont des transpositions d’un idéal artistique inaccessible ;

 

Transposer ainsi des on-ne-peut-plus-quelque-chose dans le langage des riens est un jeu créatif, et ce jeu est essentiellement humoristique. Utiliser les objets à contre bon sens et créer des choses parfaitement impossibles, comme des plaques de cuisson transformées en tourne-disques, une table de ping-pong rendue inutilisable par invasion de balles, un caisson de bouteilles de champagne vides présenté comme hommage raidement bu au porte-bouteille de Duchamp (et intitulé « Bonjour Monsieur Duchampagne »), une armoire vitrée remplie d’objets coupés pour qu’ils puissent y tenir, … est souvent drôle. Mais la drôlerie n’est pas le critère de l’humour, qui n’est pas moins présent dans cette pièce intitulée « la seule pensée du feu me glace », une forme d’homme allongé composée de cierges dont la gravité évidente neutralise même le sourire. Quel est alors le critère ? Peut-être … l’art de rappeler, par des presque riens, au désordre des riens, et la très joyeuse jarnicotoneuse joie jubilante qui l’accompagne. Une sorte de nihilisme gai, et donc pas nihiliste. Da Da. Oui da. Oui. Et nous voilà presque revenus à notre point de départ, ce qui n’est pas rien.

Otis Laubert : Pour avancés – 105.150.150 cm – 2008 –

 

Otis Laubert : Cuisiner en musique – 85.50.60 cm – 2008 – Photo Jozef Cesla –

 

Otis Laubert : (même les objets doivent s’adapter) – 100.110.33 cm – 2008 –

 

Otis Laubert : même la pensée du feu me glace – objet de parafine, 35.180.80 cm – 2008 –

élucubré pour l’essentiel le mercredi 11 mars,

utilisé comme base d’improvisation le jeudi 12

à l’auditorium de la médiathèque de Châteauroux,

et complété avec bonheur le vendredi 13

par un professeur de tératologie poétique

et d'(h)art incontemporain

qui ne saura s’il avait raison de ne pas être supersititieux

que le lendemain

 

 

Otis Laubert : (chapeau d’un grand voyageur) –  2007,

pour une exposition consacrée à des jeux-travaux avec des cartes et des drapeaux,

à la galerie de Nové Zámky puis à l’Institut slovaque de Berlin-

 

Otis tel que dans le film d’Alain & Wasthie Comte

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  1. OTIS LAUBERT

     

    Hors cadre

     

    La ville, pas la Nature. Genre: ville moderne. Espèce: tchécoslovaque. Mais pas la Culture non plus. Une culture en dessous de La Culture, un monde populaire d’images et d’objets. Petits objets. Petits objets rejetés. Un monde du silence des petits objets hors du Monde. Objets-signes. Vides de sens, signes pour les signes. Infra-minces. L’infra-mince a horreur du lourd, deux fois. Japon, vu de Slovaquie. Zen en haillons. Objets-couleurs, peinture par objets-couleurs. Art concret-abstrait. Art de l’envers abstrait. Envers de l’abstrait. Envers brut de l’abstrait. Envers fétichiste du modernisme. Tel qu’en lui-même aux yeux de l’explorateur du folklore urbain moderne. Sauvage se faisant ethnographe de sa si peu sauvage civilisation. Fétichiste anarchiste. Anartiste. C’est l’envers qui est l’endroit, la périphérie qui est au centre. Sculptures de timbres, de gomme, de coton, de papier kraft, de pochons … Fétichisme du familier inconnu. Art de rendre inconnu. Poésie évidente. Les choses ou les actes pour les mots. Klee, Kolář, Ladislav Novák, dans l’inaccessible trop proche. Le passage hors usage rend visible. Traité d’inutilisation à l’usage de toutes les générations. Art de prolétaire dandy, prince hippie de contradiction. Grand jeu des humbles: sauver le banal et par le banal, le paria règne, fête des fous. Le surréel est dans les marges de la réalité, dans la réalité se mettant en marge. Fluxus, si vous y tenez, mais hors la géographie et l’histoire du mouvement. « Je ne serai content que lorsque toutes les choses se mettront à trembler « .

                                      texte pour l’exposition d’Otis à Ocre d’Art, en 1993