« Philippe Honoré, dit simplement Honoré, né le 25 novembre 1941 à Vichy et mort le 7 janvier 2015 à Paris, est un dessinateur de presse et illustrateur français. » Voici ce qu’on peut lire aujourd’hui sur Wikipédia quand on tape son nom (ce qu’il n’aurait sans doute jamais fait, car il n’avait pas Internet – ni même de téléphone portable). En cherchant dans ma bibliothèque ce que j’avais de lui, j’ai trouvé un recueil de Cent rébus littéraires (publiés en 2002 chez Arléa) – d’aspect curieusement chiriquien, « métaphysique » -, auxquels, nullissime en rébus, je n’avais jamais osé m’attaquer – mais qui sont après deuxième tentative faciles voire très faciles, et d’autant plus délicieusement incongrus -, et des illustrations pour le Bestiaire d’Alexandre Vialatte (Arléa 2002 également), que j’ai relu en prêtant plus d’attention aux dessins. Personne ne peut transposer en images les qualités ébouriffantes des textes de Vialatte, mais Honoré s’est très bien tiré de l’exercice périlleux qui consiste à les accompagner de ses fantaisies graphiques : il a « illustré » les très fantasques, épastrouillants et inillustrables portraits zoanthropologiques de ce poète essayiste chrétien qui concluait chacune de ses chroniques de La Montagne par la formule rituelle « Et c’est ainsi qu’Allah est grand » dans un style qu’on a justement comparé à celui de Valloton graveur (occupation de tout le cadre, traits épais, contrastes absolus des noirs et des blancs) et dans un esprit incongruiste tout à fait congru. Quelques exemples :

 

L'espoir

riopsE ‘L

L'être et le néant

tnaéN el te ertÊ ‘L

Marivaux 1

xuaviraM

Molière

erèiloM

 

 

La pieuvre

 

« Molle, informe et épouvantable, coiffée de ses pieds en forme de lanière,

la pieuvre est l’enfant naturel du foie de veau, de Fantômas et du chat à neuf queues. »

 

Le boeuf 1

 

« Un boeuf en chapeau claque fait toujours un peu déplacé. »

 

La perche

« Il y a un poisson myope qui grimpe sur les troncs d’arbre et qui marche sur les oreilles;

et comme l’une de ses oreilles est plus courte que l’autre,

cette bestiole n’avance qu’en boitant. C’est une perche. »

 

Le kangourou

 

« Le kangourou est inexplicable. on dit que l’homme est un loup pour l’homme.

L’homme est pour l’homme un kangourou. Telle est la vérité de la chose. »

 

La mante religieuse

 

« La mante n’épouse que de décapités (Où irions-nous si nous l’imitions ?).

Voilà pourquoi toutes les mantes sont veuves. »

 

La girafe

 

« elles ressemblent toutes plus ou moins au professeur de piano que j’avais dans mon enfance;

en plus mondain et en plus chichiteux. »

 

L'éléphant

 

« L’éléphant se compose en gros d’une trompe, qui lui sert à se doucher,

d’ivoire, dont on fait des statuettes, et de quatre pieds, dont on tire des porte-parapluie.

Dieu l’a fait gris, dit Bernardin de Saint-Pierre, pour qu’on ne le confonde pas avec la fraise des bois. »

 

J’ai reçu de deux correspondants des témoignages relatifs à Honoré, le moins connu peut-être – parce que le plus discret ? et celui dont l’humour était le plus absolu, presque exempt de caricature ? – des collaborateurs de Charlie Hebdo assassinés le 7 janvier, et ils m’ont fait regretter de ne pas l’avoir connu ou, du moins, de ne pas m’être intéressé plus à ce qu’il faisait. Voici donc, avec mes remerciements, quelques photos transmises par Jean-Louis Ducournau (© Jean-Louis Ducournau), et une lettre de Daniel et Ewa MAJA, déjà publiée le 12 janvier par Eric Poindron sur  curiosaetc.wordpress.com :

 

Honoréà la raquette

tennis partout

Honoré jouant au bras de fer

il vaudrait mieux pour les tasses que ce soit Francisco qui ait gagné

Honoré, Francisco, Marc Villard

composition énigmatique (Honoré, Francisco Rodriguez, Marc Villard)

Honoré, Marc Villard, J-B Pouy

Devant la devanture (Honoré, Marc Villard, Jean-Bernard Pouy)

Honoré à Hollywood

Hollywood sur Seine

Honoré exencadré

exencadré

Honoré ombre

chinois du 18ème en ombre chinoise

 

Chers Amis,

Nous avons perdu deux vieux et chers amis de quarante années, assassinés ce mercredi 7 funeste dans la salle de rédaction de Charlie Hebdo.
L’un Michel Renaud, venu rendre des dessins à Cabu, « invité de la rédaction », son nom ne lui sera restitué qu’à la fin de la journée, l’autre, Philippe Honoré qu’on oublia dans la liste des dessinateurs tués (on l’oublie encore!), ce qui nous fit espérer qu’il avait échappé au massacre.
Philippe était un vrai ami, délicat, d’une modestie et subtilité aristocratique, que j’admirai dans son art, celui avec qui, à tout moment, même en son absence, on poursuit la conversation commencée il y a quarante ans sur le sens et l’éthique de notre métier de dessinateur et d’illustrateur. Philippe ne transigeait pas avec le dessin, fond et forme liés pour parvenir à l’essentiel, à l’instar des plus grands, des Daumier, Gavarni, des dessinateurs de l’Assiette au Beurre, les Grandjouan, Roubille, Jossot ou Hermann Paul ou plus tard des Frantz Mazerel ou Valloton dont il avait épousé la rigueur, la force et la puissance des noirs et blancs.
Pour lui le dessin n’était pas l’idée cocasse qui vient, la saillie saugrenue qu’on bâcle à toute vitesse, c’était un travail sur l’évidence, l’équilibre graphique des masses ou des traits, du soin dans les hachures et la justesse de l’expression, en cela Philippe était unique, privilégiant la lenteur, fidèle à son monde, sans souci de la mode et loin des clichés.
Un homme de culture aussi à l’érudition vaste aux aspects parfois incongrus, bon connaisseur du Surréalisme, plus Caillois que Breton, il flirtait avec l’Oulipo des contraintes imposées, nous avions avec Philippe et Jean Pierre Cliquet joué des décennies à des jeux oulipesques, De là sont nés ses rébus littéraires mensuels dans Lire, il en avait fait des oeuvres d’art, chacun ayant son atmosphère, sa composition, son harmonie, son étrangeté magrittienne.
Il avait inventé cette forme de détournement des photos de presse devenues le temps d’une semaine des icônes, il les simplifiait jusqu’à parvenir à l’idée pure en noir et blanc, il y ajoutait une légende de son cru (admirablement calligraphiée) qui les désacralisait et les renvoyait à leur vacuité médiatique.
C’était un compagnon de dérive et de ballade malicieux et délicieux, sa voix légèrement chantante (du sud-ouest) m’est encore présente, il racontait admirablement des anecdotes dont il avait été le témoin ou l’acteur, avec un humour tout britannique de retenue et de nègligence, on songeait à Vialatte ou à Tati, son quartier devenait un roman de Queneau avec des statues d’hommes imposants visités par les pigeons, de scientologues fumeux et inquiétants, de rencontres improbables avec les ombres du square des Batignoles…
Il avait l’amitié scrupuleuse, une intégrité rare sous ces latitudes. Il négligeait les modes graphiques, contre les facilités de la dérision bâclée,il avait gardé son style, il prenait son temps, celui de la réflexion et celui de l’exécution parfaite de ses dessins.
Il n’eut pas d’ordinateur, ce fut sa manière de se distancer de l’immédiateté de la communication émotionnelle, de l’urgence obligatoire, de la pensée-nimportequoi.
Les souvenirs affluent, je pourrais tant en dire. C’était un aristocrate du dessin.
Nous pensons surtout à Hélène, qu’il chérissait et dont il était extrêmement fier.
Nous pensons à son désarroi. Nous aimions beaucoup son père.

 

honore

 

Avec Michel Renaud, l’invité venu par hasard rendre des dessins à Cabu après la dernière édition des Carnets de voyage de Clermont dont il fut l’ardent et combatif créateur, tant de liens familiaux, amicaux, philosophiques nous unissaient depuis si longtemps. Il était lié à notre vie, aux enfants, à ses parents, à mes débuts de dessinateur, amis communs, souvenirs de vacances, les soirées passées à la maison, des discussions enfiévrées sur l’art, la politique, la sociologie, les voyages qui se terminaient très tard, nous avions un lit pour l’héberger, le retenir quand il venait à Paris; c’était une grande joie de partager le petit déjeuner avant qu’il ne reparte à Clermont.
Il m’avait fait l’honneur de participer au jury des prix, nous avions pu alors, Ewa et moi, mesurer son talent d’organisateur, son affabilité, sa disponibilité, son sens de l’amitié, sa capacité à convaincre, son ouverture d’esprit pour toutes les aventures, les expériences graphiques, anthropologiques ou engagées.
C’était un homme de vaste culture à la curiosité toujours en éveil, un humaniste.
Nous pensons à Gala, à Vassilissa qu’il adorait et dont il s’émerveillait, rapportant ses propos, attentif à l’évolution de ses talents. Nous sommes avec elles dans leur peine et leur désarroi.

Chers amis, merci à tous de vos témoignages d’amitié, merci d’avoir lu ce qui, après le choc, tente de s’exprimer.

Daniel et Ewa MAJA