[En cherchant où caser un résumé bruitiste de L’affaire du collier, dans laquelle  une fois de plus Blake et Mortimer déjouent une outrecuidemment abracadabrantesque machination d’Olrik, je retrouve un livre inachevé sur les readymades loin au-delà des limites de l’art, poétiquement promus « raidis mèdes ». J’ai dû écrire les quelques réflexions plus ou moins énigmatiques dont il se compose à la fin des années 90, et je ne comprends plus tout, mais il me semble que ça tient assez bien. A vous d’en juger, maintenant.]

 

 RAIDIS MèDES

horlarloa (loa)

 

 

Au début, incongru, beau comme un déflagration d’incongru, un arbre au bord de la route, grotesque et pathétique. Comme, suppliant, un gigantesque congre, ou un énorme cornichon.

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Dans la nuit, les raidis parlent

forteresses fort froissées.

La lumière et le détail ravagent leur face en papier d’argent.

 

Une tranche de pain tire la langue.

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Puis il y a la traduction d’une trouvaille trouvée dans un recueil du poète tchèque Ludvik Kundera (cousin de Milan) qui a débuté autrefois comme membre du groupe des trouveurs surréalistes « Ra ». Il a intitulé son livre Ztraty a nalezy, c’est-à-dire, mot à mot, Pertes et trouvailles ou, en perdant les pertes qui sont ici des deuils aussi, Bureau des choses trouvées.

 

N0UVELLE TROUVAILLE

(d’une lettre d’un voisin)

 

« Comme les temps

chez nous aussi

ont changé on le voit

déjà

à ce que j’ai rêvé cette nuit :

 

j’étais pensionnaire d’un hospice

juif

qui recevait la visite d’

Adolphe Hitler. »

 

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Puis une vérité pour tous les temps, jeune de vingt-trois siècles. Flotte étrangement à la surface d’un autre changement des temps  « Nécessairement il y aura demain une bataille navale ou il n’y en aura pas; mais il n’est pas nécessaire qu’il y ait demain une bataille navale, pas plus qu’il n’est nécessaire qu’il n’y en ait pas. Mais qu’il y ait ou qu’il n’y ait pas demain une bataille navale, voilà qui est nécessaire« .

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L’idylle, si les mèdes étaient plus denses : ne plus écrire, choisir seulement parmi les textes des autres ceux qui fidèlement ou supérieurement même expriment notre pensée.

 

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  Les oeuvres c’était à faire fait parfait

mieux sans doute que tu n’aurais su faire,

mais cela justement que tu aurais été amené à faire

si déjà ce n’avait été fait.

 

Ces poètes, ces artistes dont – crois-tu – tu aurais pu inventer l’idée,

s’ils ne lui avaient donné corps : ils t’ont – te semble-t-il –

volé quelques-unes de tes plus singulières possibilités d’être.

 

  Ces miroirs où des destins de ton hésitant génie en se figeant se sont perdus.

  Ces miroirs qui te regardent trop, qu’il faudrait savoir oublier.

 

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Il y a que point ne faut ouvrir un parapluie dans une salle fermée,

ni commencer une phrase par

« Il y a ».

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Le rire des acolytes d’Humphrey Bogart dans Le trésor de la Sierra Madre,

quand ils comprennent que leur or est parti en poussière, avec le vent.

 

(Mais comment traduire ce rire violent

dans le langage sans images et sans sons

des mots écrits ?)

 

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Les photos sont mortes.

Tu pleures la mort d’une image morte.

Tu pleures une image morte alors

que tu as le modèle vivant devant toi, avec toi

(un peu altéré, j’en conviens).

 

Comme ces touristes qui ne veulent pas voir mais avoir vu,

ne peuvent plus voir,

 tu veux être ce que tu as été sans l’avoir été.

 

Rien ne réchauffe mieux, sans doute, que les mensonges prouvés.

Tu te rêves souvenir inventé.

 

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Trop mou mèdes.

Beaucoup trop de trop mous,

à peine mèdes.

 

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La poésie doit être faite par tous

L’art doit être fait par tous

 

Orphée-On.

 

Où est le rêve d’Orphée-On?

Où sont les douces dictatures des nouvelles harmonies ?

 

Petits enfants trois par trois

Saint Nicolas ne viendra plus

Saint Nicolas ne viendra pas

 

Chaque Orphée

mort fait

les Orphées

d’or refaits

 

pauvre Rutebeuf

pauvre Villon

pauvre Baudelaire

pauvre Lélian

pauvre Rimbaud

pauvre Van Gogh

pauvre Gauguin

pauvre Apollinaire

pauvre André Breton

pauvre Antonin Artaud

pauvre Raymond Queneau

 

Vous voilà logés à l’hôtel des dieux

Übermenschen

as de l’humanité pour une humanité vidée de son humanité

vous célébrant pour votre exotisme, votre étrangeté,

ne voyant dans vos œuvres qu’objets de curiosité,

jouant avec vos oeuvres au dernier des frères humains,

le plus riche gagne, ou le mieux parlant

 

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 « Afin que celui qui voit ne se glorifie pas, comme s’il n’avait pas reçu non seulement ce qu’il voit, mais le moyen de le voir. Qu’a-t-il, en effet, qu’il n’ait pas reçu?« 

 

 Retrouver la conscience de la vie donnée

 Retrouver la grande reconnaissance

 Réapprendre à voir

 non seulement ce qui te permet de voir

mais aussi ce que tu vois

 et à célébrer l’Inconnu qui t’en fait présent

 

C’est peut-être de cela qu’il s’agit, dans ce livre aveugle,

à partir de maintenant.

 

 

Le facteur chaque matin t’apporte une enveloppe

qui ne contient rien d’

autre que le nom du jour qui vient.

 

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L’affer à repasser la Nature. Plus connue sous le nom d’appareil photo. Fabrication illimitée de fausses preuves de l’inexistence de Dieu.

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– Les paysages sont repassés?

      – Oui Madame.

– Et les souvenirs de vacances?

– Oui Madame, je les ai même déjà rangés.

– Et les fleurs?

– Lisses comme des tulipes.

– Et les dazibaos?

– Ils sont encore plus baos.

– Et les escalades?

– des promenades

– Et les minervistes?

– Madame ne devrait pas se minerver ainsi.

– Et les revoyures ? – Et les socquettes ? – Et les compromis ? – Et le débuché ? – Et le huilage ? – Et la houppelande ? – Et le faubert ? – Et le quatre-feuilles ? – Et le dessaisissement ? – Et le desperado ? – Et le gratte-cul ? – Et le missionnaire ? – Et le ricochet ? – Et l’excoriation ? –  …

 

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Analyse

 

Sujets de ce tableau, une fois encore, ces x de A, plus que tout autre motif, resteront à jamais liés au nom de A°, qui avait commencé à peindre des x à la fin de sa période parisienne; mais c’est à B., où il s’établit en février 4321, qu’il projeta une série entière consacrée à ce motif.

 

 Dans ses Lettres à B°, A° indique plusieurs fois qu’il désirerait décorer l’atelier de sa « maison m », à B, ainsi que la chambre d’amis, de tableaux de x. Cette décoration représentait pour lui une sorte d’hommage à l’art japonais qu’il appréciait tant, puisque l’usage de panneaux peints pour orner les chambres d’une maison était une tradition de ce pays. Toujours à travers les lettres de A°, nous savons qu’avec ces tableaux le peintre voulait obtenir des effets semblables à ceux des vitraux d’une église gothique.

 

   Dans cette Nature morte aux x, on retrouve l’exaltation pour ce m qui constituait à ce moment une véritable obsession pour le peintre. L’accent mis sur la couleur est atteint à travers l’emploi d’une technique nouvelle, dite à « m°n° », déjà mise en oeuvre par C°. A°, qui ne vendit qu’un seul tableau de son vivant, tenait les peintres de x@, très appréciés à cette époque, en très haute estime, pensant les avoir enfin rejoints avec « x ». « Tu sais« , écrit-il à son f D°, « que E° a le y et que F° a le z, mais moi j’ai un peu le x. Si à quarante ans je fais un tableau de figures telles que les x, j’aurai une position d’artiste à côté de n’importe qui« .

 

Quoi qu’il en soit, ce tableau est une ode à la A; on y retrouve, encadrées de fines lattes m, les couleurs de G° (peintre A 4321-4361) que A° admirait tant et « qui a fait le A en plein m, en plein n, en plein p. »

 

 

[On calculera les valeurs de A, B, A°,…pour x= escalade; minerviste; revoyure; socquette; compromis; débuché; huilage; houppelande; faubert; quatre-feuilles; dessaisissement; desperado; gratte-cul; missionnaire; ricochet; excoriation; ….]

 

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« Au commissariat de C., chef-lieu de l’I., région Centre, dans le bureau des procès verbaux, il y a en format poster des vues de Prague, touristiquement attifée de lumière sans son et d’absence de touristes ». Il me semble que cette phrase est de nature à susciter une plutôt grande envie d’aller voir le bureau des procès-verbaux du commissariat de C., chef-lieu de l’I., région Centre, mais en réalité il s’agit d’un bureau de commissariat aussi bête que n’importe quel bureau de commissariat, qui ne fait pas penser à autre chose qu’à un bureau de commissariat, et dans lequel un flic à l’air bonasse lentement lentement lentement enregistre ma plainte.

 

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« Se servir de la Joconde comme une table à repasser« 

 

Ce ne sont pas les artistes qui ont le plus repris ce précepte de Duchamp, ni les faussaires-copistes, mais les reproducteurs, les fabricants de Musées imaginaires à la portée de tous, et ils ne se sont pas limités à la Joconde. Toutes les oeuvres y passent, repassent, se font repasser, lisser comme tables-tableaux à repasser. Raidies, emmédées, académidonnées. La voilà, l’ultime métamorphose de l’art ! Mort et résurrection sous forme de clones indéfiniment multipliables. L’aura flotte toujours, mais lisse, glisse, avec des reflets d’argent et de gomina.

 

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Dérepasser?

 

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Monde raidi, trop raidi: les azéris musulmans se battent contre les arméniens chrétiens, des hindous détruisent une mosquée au nom de Rama, des chrétiens sont en guerre contre les bengalis musulmans, le clergé bouddhiste birman soutient la junte qui extermine les rohingas musulmans, des palestiniens islamistes défilent en exhibant des haches à planter dans le corps des juifs,… Guerres de géants de pierre, pour telle ou telle sorte de pétrification. Aussi lointaines que les guerres médiques.

 

Miracle de l’invention de la souplesse, et de la modestie.

   Saint Rabelais, Saint Montaigne, Saint Voltaire

           Merci !               Merci !              Merci!

 

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Assisté à une conférence, une « causerie » de John Giorno, figure légendaire des révolutions poétiques des années 50-60, ami-amant de Bryon GysinWilliam BurroughsAllan GinsbergAndy Warhol,…inventeur du poème téléphoné, pionnier des trips au L.S.D, converti au Bouddhisme. Beauté virile, robuste, inaltérable (les photos montrent qu’en trente ans il n’a presque pas changé), expression énergique, optimiste, voix ferme, profonde, rapide, décidée. Il répète avec insistance qu’il est « a poet » (comment peut-on se proclamer poète? comme s’il y avait en ce domaine la moindre certitude sur ce qui viendra demain, sur la valeur de ce qui est venu ?) mais n’a pas du tout le physique de cette absence d’emploi. Son bouddhisme n’a pas l’air de trop contrarier une énorme adhésion à son passé, comme si les années hippies n’étaient pas définitivement révolues, et depuis longtemps. Ni une énorme adhésion à son ego: parle de lui et Bryon Gysin, Brion Gysin et lui, lui et lui, lui et la dissolution de son ego. Ne s’est sans doute jamais trop demandé si les rêves étaient aussi intéressants pour ceux à qui on les raconte que pour ceux qui les vivent. Les « images trouvées », dont WarholLichtensteinRauschenberg avaient montré la voie, ont été son passeport pour sortir du ghetto poétique, comme le cut-up pour Gysin ou Burroughs, ou l’écriture automatique pour les surréalistes… S’est adonné et abandonné aux raidis de l’extérieur, section présent, tendance mystique par le contemporain. J’attends d’avoir lu et écouté de ses textes pour me prononcer, mais l’exposition Brion Gysin, à l’occasion de laquelle cette « lecture » avait lieu, est très décevante: tout trop simple, sans chair, sans autre esprit que l’apparence de spiritualité du vide, et amnésique. Très influencé aussi par Tobey.

 

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Aux Uffizi, il n’y a pas beaucoup de readymades

 

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L’appareil photo transforme tout ce qu’il prend en readymade,

mais il nous fait découvrir infiniment d’images invisibles à l’oeil nu.

 

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Smithson écrit de la photographie qu’elle a le pouvoir de transformer le monde en musée. Mais ce musée est en général un bric-à-brac de choses de dix-huitième rang, comme on en trouve souvent en province, et, surtout, il n’est pas ce qu’on visite, mais l’album qu’après, pour passer le temps, on vous invite à regarder. On ne se promènera jamais dans la nature comme on visite un musée parce que dans la nature il n’y a pas de cadre. Mèdes raidis pas morts, andent encore.

 

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L’ensemble innombrable, quoique fini,

des photos prises depuis l’invention de la photographie.

L’ensemble innombrable, mais infini,

des réalités photographiables.

 

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Jolies momies sur le vif. Toute photo raidit un mède.

 

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Raidis crus de la Nature,

raidis cuits de la production en série.

Duchamp préférait les raidis cuits.

Le musée du Jardin des plantes est plein de raidis crus.

 

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Duchamp: le choix des objets était fondé sur « une réaction d’indifférence visuelle assortie au même moment à une absence totale de bon ou mauvais goût, une anesthésie complète« . Voilà qui définit la manière dont l’inventeur du mot « ready-made » choisissait les objets que, par la seule vertu du choix, il transformait en oeuvres. Mais il y a bien d’autres manières de raidir les mèdes.

 

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Ce sont les objets qui te choisissent. Les objets, les évènements, les personnes, les paysages… qui importent sont ceux qui te choisissent. Les véritables mèdes sont ceux qui te raidissent. Les rares qui te raidissent, se laissent si mal raidir.

 

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Alex Mlynarčik a imaginé à la fin des années 60 une action qui donnait à découvrir Bratislava. Trente ans après, ce geste n’a rien perdu de sa poésie d’aurore. Sa fraîcheur. En visitant l’exposition anniversaire de la fondation du Nouveau Réalisme, il y a quelques années, j’avais eu la même si rare, si improbable impression.

 

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Jours pendant lesquels tu es hélé par tout ce que tes yeux rencontrent,

jours sans intermèdes.

 

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Stèles vives,                  Stèles vives,                    Stèles vives,

au garde à soi                 au garde à soi                au garde à soi

dans leur manteau         dans leur manteau           dans leur manteau

de présent                     de présent                      de présent

 

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