La langue verte et la cuite

de Noël Arnaud et Asger Jorn

publié par Jean-Jacques Pauvert fin 1968

(27,5.22.3,5 cm – 348 pages –

315 reproductions noir et blanc, la plupart pleine page,

lingualement monochromées)

 

Ce livre dont l’existence n’est plus connue que de quatre ou trois cent personnes, qui n’en possèdent pas toutes un exemplaire, ce livre dont on peut se demander s’il a été encore regardé et lu après la fin de l’époque héroïque du Collège de ‘pataphysique – sans le et laquelle il n’aurait pu être ni réalisé ni même imaginé -, ce livre ivre, éminemment improbable, est l’un des plus génialement stupides – ou stupidement géniaux – du siècle précédent (qui a quand-même vu paraître Finnegans wake et Une semaine de bontéSaint-Glinglin et La mariée mise à nu par ses célibataires, mêmeAu pays de la magie et La vie mode d’emploiFaustroll et FictionsLocus Solus et L’amour fouLa cantatrice chauve et PeanutsPour lire sous la douche et PhilémonCatalogue d’objets introuvables et Ces nains portent quoi ?, …)

Qu’est-ce que c’est ? D’un point de vue analphabète, un livre pour poches de géant, où il y a beaucoup de photographies bizarres et plutôt drôles de monstres sculptés, peints ou dessinés qui tirent toutes sortes de langues (bifides, de feu, végétales, avec une tête au bout, …) coloriées par un artiste paresseux et facétieux. Matière à rêverie pour Alice, qui ne comprenait pas à quoi sert un livre sans images.

D’un point de vue an-analphabète, un livre écrit avec un vocabulaire et selon une logique qui ressemblent à ce que tout le monde connaît, mais à peu près seulement, si bien qu’on peut lire tout le texte sans y rien comprendre, en ayant l’impression que ça parle de choses qu’on devrait comprendre. On y parle par exemple de « gastrophonie », « marmythologie musiculinaire », d’intimité « biturologique» ou « utopologique », de « futèse mythogastrique », « d’optimysticisme largement pessimissible ». On y trouve des « marmythes » très singulières, comme celles du Caméléon et de l’Écossais, celle de la Tête de lard et de la Tête de turc, celle du Vieux poulet et du jeune, ou encore la marmythe sur l’origine des carpes volantes, sur le pourquoi de la fâcherie entre la langue et les couleurs, sur l’origine du pied dans le plat ou celle du conflit entre le cigare et la salade. On y voit défiler les noms de plats burlesques (et plus ou moins très moyennement appétissants), comme La soupe au laitonLe potage sonhorrifique, la ChiantinateLa sonate en sole meunièreLes écrevisses aux écrousLe lard du reinLes steaks de l’Asie centrale ou La langouline frite.

D’un point de vue an-analphabète nostalgique de l’analphabétisme primitif, un peu familiarisé avec l’existence d’une poésie et d’une littérature « parallèles », et sachant par conséquent que la pensée mythique n’est pas morte avec les Mythes des cultures pré-modernes (tués par les Saints Georges de la Science), on pourrait le définir (je parle toujours du même livre) comme : des Éléments pour une mytholinguologie parallèle – à entrevoir et entrepenser – à l’époque de la science (linguistique) des mythes. Une mythologie en creux, surtout farcesque mais accessoirement un peu très sérieuse, de la langue prise dans toute la richesse de ses significations et de ses usages contradictoires : langue naturelle (que l’on tire, avec laquelle on mange, boit, goûte, attrape les mouches, procède à des travaux de nettoyage bucal pré-dentistiques, tourne sept fois dans sa bouche, crie, parle – ce que certains originaux mettent à profit pour penser -, fait sa toilette de chat – quand on est chat -, …. ), langue culturelle (système de signes chargés de sens dont à propos duquel certains langouistes affirmaient qu’elle était une sous des apparences multiples quand d’autres penchaient pour la multiplicité originelle avec quelques caractères communs), métalangues servant à dire les langues naïves (qui ne sont pas si infra- que ça puisque par essence métanaturelles), langue populaire, langue savante, langue secrète, langue publique, langue de bois (qui est souvent dans un gant de fer), langue verte, langue chargée, langue muette, langue des sons, langue des formes et des couleurs, langue ouste (militaire), langue bien pendue, langue d’apparat, langue hissante, langue pourrie, …

D’un point de vue analphabète-et-ananalphabète, sauvage et cultivé, c’est un livre dadaïste, joyeusement et facétieusement nihiliste, fruit de la collaboration d’un grand peintre expressionniste post-surréaliste (fondateur de Cobra, ami de Guy Debord, inspirateur et phynanceur de la luxueuse revue de l’Internationale Situationniste) et d’un poète illettriste qui était depuis huit ans membre – fondateur – de l’OuLiPo et depuis dix-huit ans membre éminent du Collège de ‘pataphysique. Un traité en forme de langue tirée sur l’art inenseignable de tirer la langue, littéralement et dans tous les sens.

 

MISE EN GARDE : à la suite de cette conférence, même les personnes qui, d’ordinaire, n’ont pas leur langue dans leur poche, risquent de l’y retrouver, pendant une période de temps comprise entre très peu et l’infini. Le conférencier, dialectiquement favorable à des cures de mutisme chez ces malades qui s’ignorent, décline en tout cas toute responsabilité.

Lors de ses cirquonférences sur cette bible de la marmythologie musiculinaire (Châteauroux, jeudi 11 Octobre, 14h30, locaux de la MGEN, rue Max Hymans – Centre multimédia à Bourogne – près Belfort -, jeudi 18 Octobre, 20h), etienne cornevin projettera de nombreuses languillustrations et lira quelques marmythes, mais les infortunés qui, pour quelque plus ou moins obscure raison, n’auront pu y assister, pourront en recevoir au moins le texte pré- et post-paratoire sur simple demande à etienne.cornevin@wanadoo.fr