Dans le cadre de la Biennale d’art contemporain de Lyon, dont le thème est « la vie moderne« , Anish Kapoor, « considéré comme l’un des plus grands sculpteurs contemporains » – donc moderne mais aussi au-delà du modernisme – a été invité à faire réfléchir  ses miroirs dans le Couvent de la Tourette, « archétype de l’architecture moderne« , et ils ont l’air tellement bien dans ce rôle qu’il sera sans doute difficile, quand l’exposition sera finie, de les envoyer réfléchir ailleurs. Voyez :

 

(dans l’atrium) : Non-object (Door)

 

le même, d’un autre côté

 

encore le même, avec drôles de gens

 

(Extérieur Pilotis) : Sky Mirror

 

(réfectoire) : Aluminium mirror

 

le même, d’un autre côté

le même, centré (renversant, non ?)

 

(petit conduit) : Gold corner

 

(église) : Spire 4

 

la même, d’un autre point de vue

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mais il a mis aussi d’autres sortes de miroirs,

beaucoup moins merveilleux,

pas merveilleux du tout, même :

des miroirs écorchés vifs, sanguinolents :

 

(salle du chapitre) : Sans titre

 

(salle du chapitre) : Disrobe

 

(Salle Lebret) : Keriah IV

 

(Salle Lebret) : Keriah V

 

(Salle Couturier) : Endless Column

 

(Salle Tito de Alencar) : Moon Shadow

 

(Salle Tito de Alencar) : V Shadow

 

(Salle Tito de Alencar) : Sans titre

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Déjà l’architecture de Corbu – comme toute architecture sacrée digne de ce nom – projette hors du Temps tueur d’Éternité de la modernité, dont le culte du « contemporain » n’est qu’un nouvel aspect, mais les miroirs concaves d’Anish Kapoor projettent cette éternité retrouvée dans une autre éternité, plus proche encore des imaginations d’origine auxquelles certains d’entre nous n’ont pas complètement renoncé. Ils concentrent ce qui est dans l’espace qui leur fait face comme pour le faire revenir à l’état impensable à partir duquel il a été projeté dans la réalité : bien sûr, comme nous sommes habitués à nous considérer comme des produits finis, nous ne nous y retrouvons pas vraiment, mais en même temps une simple rotation de 180 degrés suffit à nous convaincre que c’était bien nous dans ce tranquille et immobile tourbillon. Au dehors, le Ciel fait à nouveau l’amour avec la Terre, comme au tout début de l’histoire du monde selon la mythologie grecque. L’expression « quatrième dimension » est trop usée, mais c’est quelque chose de cet ordre – plutôt façon Duchamp, une des rares références deKapoor – qui est en jeu : ces miroirs ont le pouvoir magique de faire voir l’unité – autrement invisible – des lieux où ils sont posés. Ils ramènent sensiblement à l’essentiel ce qui est déjà le produit d’une très énergique réduction à l’essentiel. Ils irréalisent ce que nous avons devant les yeux, et lui donnent en même temps plus de réalité. Les regarder est très plaisant, et drôle parfois, mais c’est aussi faire l’expérience impossible à l’oeil nu d’un degré de pureté très élevé, quasi-absolu, et cette expérience a immédiatement une dimension métaphysique (pour ceux qui sont restés assez platoniciens pour savoir ce que cela peut vouloir dire).

Tout cela est à la fois très clair et très mystérieux, et évoquera peut-être à ceux qui lisent les articles de ce site les peintures de Sima d’une part (Cf http://nouvelles-hybrides.fr/wordpress/?p=8989) et plus encore les « commentaires » picturaux de reproductions par Rudolf Fila (Cf http://nouvelles-hybrides.fr/wordpress/?p=9647 ou encore http://nouvelles-hybrides.fr/wordpress/?p=9595).

Les autres miroirs, sans surface réfléchissante, sans « peau », ces amas de « chairs » sanguinolentes ou ces blocs de cire rouge, montrent aussi ce qu’on ne peut ni ne veut voir : un en-deçà pathétique du miroir auquel Lewis Carroll n’avait pas pensé, et qui rend notre passage sur terre plus tragique que nous ne le souhaiterions. Sans eux, l’image merveilleuse donnée par les miroirs extravertis serait incomplète, et fausse.