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Vous dont la bouche est faite à l’image de celle de Dieu
Bouche qui est l’ordre même
Soyez indulgents quand vous nous comparez
À ceux qui furent la perfection de l’ordre
Nous qui quêtons partout l’aventure
Nous ne sommes pas vos ennemis
Nous voulons vous donner de vastes et d’étranges domaines
Où le mystère en fleurs s’offre à qui veut le cueillir
Il y a là des feux nouveaux des couleurs jamais vues
Mille phantasmes impondérables
Auxquels il faut donner de la réalité
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Guillaume Apollinaire : La jolie rousse
dernier poème de Calligrammes
poèmes de la paix et le la guerre (1913 – 1916)
Haz’art. Comme jeu de mots, c’est assez gros (et je ne serais pas étonné que de bons mauvais esprits calemboureurs genre Patrice Delbourg l’aient déjà commis), mais son contenu n’est pas vide : il y a une poésie des associations de hasard, bien emblématisée par le surréalisme naïf et populaire des brocantes ou, beaucoup plus généralement, par les « objets » des photographies de Cartier-Bresson, Doisneau ou Alvarez Bravo, et il y a des « oeuvres » qui reposent sur des associations non concertées. Certaines sont dues à la Nature (dont on surestime peut-être l’inintentionnalité …), comme les « pierres-paysages », les jaspes ou les agates dont Roger Caillois a si magnifiquement écrit. D’autres sont dues à des « artistes » sympathiquement paresseux et plus ou moins fumistes, qui se contentent d’extraire quelque chose du monde – naturel ou industriel -, de l’étiqueter « oeuvre d’art », et de le signer (Marcel Duchamp, bien conscient de ce qu’il y a de scandaleux et révolutionnaire dans cette manière de faire de l’art, proposait de les appeler plutôt « anartistes« , et la philosophie de l’art moderne et contemporain serait un peu moins confuse si les théoriciens utilisaient ce terme).
Mais il y a aussi des artistes – moins paresseux sans doute – qui dialoguent avec le hasard : le provoquent, l’interrogent, l’acceptent jusqu’à un certain point de mesure, le corrigent, le réorientent. Relancent les dés. Voici, au hasard un peu guidé de ce qui m’est passé par la tête, quelques réflexions sur ce haz’art et 1/2, qui ne renonce pas totalement à la maîtrise de l’Art.
Selon le type d’art auxquels ils se consacrent, les artistes ont plus ou moins à s’arranger d’éléments contingents. Les peintres, traditionnellement, sont – avec les musiciens – parmi ceux qui maîtrisent le mieux les ingrédients et les ustensiles de leur art : ils doivent savoir que pour obtenir telle nuance de couleur-lumière il leur faut utiliser tel pinceau et telle couleur mélangée à telle autre, dans telle proportion. Mais même à l’âge d’or de la peinture de chevalet, seuls certains pigments étaient disponibles, les autres étant trop rares et donc chers, ou pas encore découverts.
« L’opportunisme » des « artistes » modernes, leur aptitude à faire rentrer dans l’oeuvre tout et n’importe quoi (à faire art des matériaux les moins appropriés à une destination si sublime) est violemment opposé à l’attitude et aux aptitudes des peintres traditionnels. À cet égard, plus que les peintres de « l’anti-tradition futuriste » (Balla, Boccioni, Severini, Carra), qui introduisent de nouveaux sujets et de nouvelles manières de les traiter, mais persistent à utiliser toiles, papiers, pinceaux et pigments (Marinetti lui-même, avec les poèmes-affiches des mots en liberté, ou Luigi Russolo, avec son « art des bruits », ont été beaucoup plus radicaux), les artistes modernes par excellence sont les dadaïstes. Relief, papiers collés, collage, photomontage, photogramme, films sans pellicules, poèmes simultanés, poèmes abstraits, poèmes automatiques, théâtre sans pièce, gifle au goût public, costumes abstraits, assemblage de matériaux trouvés, readymade, musique d’ameublement, … tous ces procédés de création – qui font voler en éclats toutes les vieilles séparations entre disciplines artistiques comme entre artistes, poètes, musiciens, chansonniers, humoristes, ou penseurs -, reposent sur une sollicitation du hasard sans commune mesure avec celle que pratiquaient très marginalement les poètes, musiciens et plasticiens des cultures traditionalistes. Ils nous semblent avoir existé de tout temps, mais ils ont été inventés et primo-illustrés par Max Ernst, Hans Arp, Hannah Höch, John Heartfield, Raoul Hausmann, Man Ray, Christian Schad, Hans Richter, Viking Eggeling, Kurt Schwitters, Tristan Tzara, Hugo Ball, Marcel Janco, Francis Picabia, Arthur Cravan, Marcel Duchamp, Erik Satie, …
Bien que ce soit complètement idiot, et intellectuellement très dangereux, les historiens de l’art du XXème siècle, les critiques et les artistes adorent opposer à leurs collègues ce qu’on pourrait appeler des Résumés suprêmes. Structure de l’affrontement : A affirme « C’est X qui est à l’origine de toute la modernité artistique » ; à quoi B : « Mais non, c’est Y, qui a en outre anticipé la postmodernité » ; ou C : « Mais c’est Z qui inaugure l’anti-modernité, qui est l’avenir de la modernité comme de la postmodernité ». On imagine sans peine les noms d’oiseaux qui ne tardent pas à suivre dans une discussion si bien engagée. Il est peut-être plus intéressant de se demander ce qui distingue ces trois attitudes typiques – également acceptables, si elles n’excluent pas les autres – en ce qui concerne la mise à contribution du hasard (on dirait a priori que les artistes modernes recherchent systématiquement les suggestions du Hasard pris comme principe transcendantal, les postmodernes le réduisent au mélange des styles et des œuvres, et les anti-modernes le fuient), et d’observer qu’elles sont souvent combinées, dans des proportions très variables (Fautrier est à la fois moderne et anti-moderne ; de même Chaissac, qui est aussi postmoderne, et quelque chose d’autre encore).
À l’égard du grand jeu avec le Hasard, l’artiste moderne par excellence est peut-être Kurt Schwitters (1887 – 1948), qui était fier de créer ses « Merzbauen », « Merzbilder », « Merzzeichnungen », « Merzdichtungen », … avec des éléments de rebut, comme des papiers déchirés, des tickets de tram, des morceaux de papiers peints, des caractères typographiques, … toutes choses auxquelles, dans les premières décennies du XXème siècle – et cela n’a pas tellement changé -, on ne reconnaissait pas de valeur esthétique. Mais on voit très bien sur son exemple que faire de l’art avec n’importe quoi ne signifie pas faire n’importe quoi. Solliciter des trouvailles faites au hasard (qui, d’être systématiquement recherché, ne cesse pas d’en être) n’implique pas que leur assemblage se fasse au hasard. Au contraire, il faut un sens de la composition d’autant plus délicat et intuitif qu’aucune règle scolaire ne peut aider. Dans la perspective où le talent mimétique ne joue plus aucun rôle, l’artiste est condamné à être génial (cette condamnation à la liberté n’aurait sans doute pas été du goût de Sartre …), et il doit rechercher le hasard comme un défi, pour renouveler l’essai – et la preuve – de sa génialité.
Le recours au hasard a été un moyen de se libérer de l’art traditionnel, tenu pour prévisible, ennuyeux, et lié à un monde bourgeois dont on ne voulait plus. Un moyen très radical, puisqu’il implique de vouloir se lancer dans l’aventure formidable de l’exploration de mondes de formes et de pensées inconnues. Le haz’art est un art retourné aux jeux nonsensiques des enfants, un art « élémentaire » par et pour ceux qui veulent bien risquer de se perdre dans les éléments. Au delà de la logique. Au delà de l’impératif catégorique du Sens.
Le confusionnisme ambiant fait que le mot « hasard » est redevenu une sorte de gros mot – sous l’influence notamment de l’Oulipo, ce qui, quand on sait l’importance du hasard pour, par exemple, Queneau et Perec, ne manque pas de sel -, mais il suffit de penser à ce qu’on connaît des œuvres de Picasso, Apollinaire, Joyce, Max Jacob, Ernst, Dubuffet, Vialatte, Spoerri, Cage, … ou, pour les très rares qui connaissent l’art né en Slovaquie ou en Tchéquie, de Šíma, Kolář, Novák, Chatrný, Fila, Laubert, Bočkayová, Fischer ou Skála, pour se convaincre que beaucoup des plus grandes œuvres du dernier siècle ne peuvent être comprises que comme haz’art rectifié, dirigé, joué.
Et c’est heureux,
car c’est à la gare Saint Hazard
qu’arrivent les trains
les plus étrangers
à tout le toutim
du train-train
traditionnel.
Marqué comme: anti-modernes, Apollinaire, Dada, Duchamp, modernes, post-modernes, Schwitters
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