J’apprends aujourd’hui, 22 août, la mort de Ladislav Novák, le 28 juillet 1999. Le faire-part dit simplement : « après une courte maladie, à l’âge de 74 ans », et je ne sais rien de plus. Je n’avais rien pressenti, lorsque je lui ai rendu visite la dernière fois début novembre de l’année dernière : il avait commencé à expérimenter une nouvelle technique de voyance assistée, en partant cette fois de taches d’encre de chine, et certains des premiers résultats étaient plus que prometteurs, et il en était conscient. Il disait depuis des années que la poésie, sous la forme en l’occurrence de ses « froissages interprétés », était sa seule raison de continuer à vivre, il lui fallait « parachever son oeuvre », mais comme il le répétait depuis des années, justement, je ne pensais pas que sa fatigue et sa solitude pourraient finir par l’emporter. Je repense aux moments passés avec lui, sa gaieté et sa malice de derrière la fatigue, les histoires – trop ininventables pour être fausses – qu’il racontait avec délectation à propos de Jirí Valoch, Gerta Pospisilova, Dorka Filova, Milan Bockay, Jozka Hirsal – qui se présentait toujours comme « Josef Hirsal, de Prague », lors d’un voyage à Vienne où ils étaient invités en tant que poètes concrets, ce qui l’avait amené à se présenter comme Ladislav Novák, de Trebic –, ce poète dont j’ai oublié le nom qui avait coutume de dire « la vie, c’est une des choses les plus difficiles », ou surtout Pavel Reznicek, dont la femme, partisane de l’orthodoxie en matière de conjugalité, avait reçu un jour d’absence de son mari un coup de téléphone vengeur l’informant avec un enthousiasme très détaillé des qualités des nouvelles recrues de la maison « habituelle ». Je repense à son romantisme magnifiquement insensé, qui lui avait fait par exemple renoncer à une invitation en Bretagne chez des amis surréalistes dans l’espoir ultra-mincissime de revoir une jeune femme qu’il n’avait fait qu’apercevoir à la gare le jour précédent. Je repense à l’oeuvre qu’il laisse, si mal connue et si peu appréciée en France, alors qu’elle est une des très rares à notre époque où la vision la plus lointaine et la plus féérique soit constamment associée à l’humour le plus absolu (seule l’intimidation des grands noms me fait hésiter à en comparer les eaux de vie poétiques – teneur et valeur – aux alcools qui sortaient des alambics de Rimbaud, Klee ou Michaux, notoires bouilleurs de cru du clair de lune). Je repense que ses poèmes « concrets », ses « poésies sonores », ses « poèmes pour récitation mobile », ses « recettes », ses « alchimages », ses « froissages interprétés », tout cela reste, poésie et art mêlés, il n’y a rien à jeter, rien qui date ou relève de l’exploitation d’un procédé, tout cela est extraordinairement vivant : ce n’est pas une petite consolation, c’est même la consolation des consolations, pour quelqu’un qui a véritablement consacré sa vie à la poésie.
Mais je pense que je n’ai pas encore envie d’entrer dans cette dialectique par laquelle les morts sont censés se consoler, par l’intermédiaire des vivants, de leur avoir faussé compagnie.
Étienne Cornevin
[Ladislav Novák, de Trebic : né en 1925, à Turnov, en Bohême. Poète absolu, arpentant les parages simultanéisés du surréalisme, du zen-dadaïsme, de la poésie concrète, de l’abstraction lyrique imagi-native, de la poésie sonore, du pop art rauschenbergien, de la poésie visuelle, de la poésie sémantique, des performances, du land art, du paysagisme chinois en Bohême ou même des installations ; inventeur de « constellations », de textes triturés, de collages-objets, d’« alchimages », de « poèmes pour récitation mobile », de « froissages interprétés », de « dessins topologiques », de poèmes pour magnétophone, de « poèmes tactiles », de « véronages » (tous très insuffisamment reproduits-traduits-publiés). Auteur du Livre de recettes.]