Institut National d’Entomologie
69 rue du Perce Oreille
88000 Châteauneuf du Papillon
Monsieur Émile Pattes, directeur
à Madame Mère Lou Dubois,
Chère Madame,
J’ai le regret de vous annoncer que votre fils Lou Dubois a encore une fois été jugé inadmissible au concours pour le poste d’entomologiste de troisième classe au Parc de l’Arcarus d’Or.
La cause principale de ce refus est la même que lors des précédentes tentatives : Lou ne sait toujours pas comment on doit se servir d’une boîte d’entomologie.
Ce n’est que très exceptionnellement qu’il met dans ses boîtes des insectes, et lorsque c’est le cas, il s’agit exclusivement de papillons, plus précisément d’espèces rares, exotiques, particulièrement belles, comme si les papillons communs et ternes n’étaient pas dignes de son intérêt ! Parce que le Monarque est un lépidoptère dont les ailes semblent préfigurer les vitraux, parce que la mante religieuse fascine par se mœurs « androphages » (mais n’exagérons rien : il arrive que le mâle s’en sorte), faut-il oublier la punaise des lits (Cimex lectularius), le moustique commun (Culex), le morpion (Phteit), le pou (Pediculus), le bousier (Géotrupe), la libellule déprimée (Ptaletrum depressum), le perce-oreille commun (forficula auricularia) ou l’acarus sarcopte de la gale ? D’ailleurs, même si Lou se consacrait uniquement aux Lépidoptères, il serait injuste vis-à-vis des Diptères, des Strepsistères, des Siphonaptères, des Mécoptères, des Raphidioptères, des Névroptères, des Coléoptères, des Hémystères, des Thysanoptères, des Phtéroptères, des Psocoptères, des Dictyoptères, des Dermaptères, des Gryllobattodea, des Phasmatodia, des Orthoptères, des Embioptères, des Plécoptères, des Zoroptères, des Odonates, des Ephéméroptères, des Zygeutoma, des Archaeognathes, et je vous en passe, ne voulant pas vous donner l’impression que j’exhibe mon savoir. Parce que la classe des Insectes (au sens ancien d’arthropodes à six pattes, et non au sens récent d’hexapodes, bien entendu) est la plus vaste et la plus diversifiée du règne animal, avec près d’un million d’espèces répertoriées (et les entomologistes estiment que le nombre réel d’espèces d’insectes se situerait entre 5 et 80 millions !), faut-il se décourager tout de suite ?
C’est hélas ce que semble penser Monsieur Votre Fils.
En outre, il introduit dans ses boîtes des éléments qui n’ont aucun rapport, de près ou de loin, avec des insectes : photographies (souvent découpées), étoile de mer, tests d’oursins, cible, candélabre en verre, loupe, vieille horloge, empreinte de doigts, miroir ouvragé, photogramme de film, oiseaux naturalisés, tatou naturalisé, rouages, cadrans de montres à l’ancienne, compteur pour parties d’échecs, petits animaux en plastique pour enfants, pages de chiffres, bougies, heurtoir en forme de gant de fer, clefs, cloches à horloges, schémas d’optique, sachet de thé, noix, têtes de vieilles poupées, billes, salière, nappe, plumes pour porte-plume, lunettes, médailles religieuses, caisse de boîte à musique, loupe d’horloger, casque d’escrimeur, ciseaux, photos de têtes (qui reviennent à plusieurs reprises : peut-être des gens célèbres, mais certainement pas parmi les entomologistes !), sans parler de choses que la correction scientifique et la simple décence interdit de nommer …
Et la disposition de ces éléments ! Ce n’est pourtant pas bien compliqué d’aligner des échantillons selon des lignes verticales et horizontales – c’est d’ailleurs un type d’organisation qui a tellement fait ses preuves qu’on l’a adopté dans le monde entier pour les cimetières militaires -, mais non, il faut que Monsieur Lou Dubois se singularise : tout a l’air de flotter ou voler dans des espaces profonds, à plusieurs plans, avec des reflets où objets et images se mêlent confusément, et il se produit dans chaque boîte des rencontres d’éléments qui n’ont rien de commun, comme louis Jouvet en Don Juan, une odalisque d’Ingres et les damnés de Dante dessinés par Gustave Doré, ou un homme à nœud papillon et tête de tatou en compagnie d’hommes « primitifs » avec des tatouages compliqués (ce n’est pas tout à fait n’importe quoi : il y a une association de mots entre les éléments « tatou » et « tatouage ». D’ailleurs le titre que Monsieur Votre Fils a donné à cette boîte – car il les considère comme des œuvres ! – est « Tontétatilotétatou ». Vous voyez à quoi il s’abaisse : ne dirait-on pas une de ces plaisanteries du bon général Vermot, que l’on pardonne au soldat, surtout galonné, mais qui, chez un civil, est inexcusable ! Et tout est à l’avenant : un objet mystérieux – qui s’avère être un chronomètre d’échecs – est associé avec un cerf grâce au pitoyable jeu de mots « Aquassacerf ? », une photo d’enfants avec des billes est intitulée « De bonnes billes », le R du mot PARIS s’élève au-dessus de sa place et c’est « R de Paris » (alors que ça devrait être « R de Pa is »), un enfant avec un cerceau contenant d’autres roues diversement liées au temps et c’est « La roue du temps ».
Chère Madame, je crains que votre fils n’ait attrapé une maladie devenue assez commune à notre époque : la calembourite aiguë. Ses fréquentations n’y sont sans doute pas étrangères : on l’a souvent vu avec ces agités du bocal (si vous me permettez une expression certes populaire, mais expressive) qu’on appelle je crois « dadaïstes » ou « surréalistes ». Il serait même du dernier bien avec le dangereux anarchiste liégeois Roland Breucker ! Je ne veux pas vous mentir : les chances de guérison, lorsqu’on a attrapé le virus du calembour, sont minimes ; mais on en meurt aussi rarement que de rire …
Un trait des « compositions » de votre fils me semble difficile à interpréter autrement que comme manifestation d’ironie contre ses professeurs : il multiplie en effet les faux papillons, découpés ici dans une photo de visage, là dans une reproduction de sérigraphie bigarrée, ailleurs dans des lunettes, ailleurs dans – j’ose à peine l’écrire – des seins ! Dans l’École que j’ai l’honneur de diriger, nous nous flattons d’être tolérants, mais il faudrait peut-être dire à Monsieur Votre Fils que ces plaisanteries d’adolescents ne sont vraiment plus de son âge.
À ce propos, je tiens à préciser qu’au-delà de 65 ans la candidature de Lou ne sera plus recevable, et qu’il serait temps qu’il cesse de se prendre pour un artiste (- pourquoi pas un poète, tant qu’à faire ?!) et se convertisse enfin aux principes et aux méthodes de l’Entomologie scientifique (si cela peut être une consolation, je vous signale que Lou, avec ses trente essais non couronnés de succès, détient le record du nombre de tentatives malheureuses).
Je suis bien conscient, chère Madame, du fardeau que doit être un fils si obstiné dans le ratage pour une mère qui est elle-même la fille de Guillaume Apollinaire et de Louise de Coligny, qui elle-même descendait directement de Lou Andrea Salomé, Friedrich Nietzsche et Rainer-Maria Rilke, et je tiens à vous assurer que nous ferons une fois de plus tout ce qui est en notre pouvoir pour ramener le jeune Lou – qui est certainement un gentil garçon, un peu trop tourné vers son enfance, peut-être – dans le droit chemin de l’entomologie rigoureuse. Après tout : pourquoi le goût des « cabinets de curiosité » ne mènerait-il pas à la curiosité systématique et rationnelle de la science ?
Veuillez agréer, chère Madame Dubois,
l’expression de ma considération la plus distinguée
Dr Émile Patte, directeur de l’I.N.E
PS : je vous rappelle que les frais de scolarité se montent à 10 000 euros, réglables en début d’année.
Et les Papous? Hormis les Tontétatilotétatous, les références anthropopatrèlogiques manquent à la pelle…
ce n’est pas une mise en boîte mais une gentille suggestion…
les mises en boîte c’est quand on est mort dit mon ptit nveu.
Samanta Lô
en général, je suis d’accord avec votre neveu,
mais là y a un Monsieur Doxe, para de son métier,
qui affirme que la vraie vie est dans les boîtes !
ça se complique !
va-t-il falloir distinguer boîte et boîte ?
votre bien affectionné
Art Tatou
vous zoomettez de dire ousse trouv les kspo;
en tant qu’art trop pode,
Samin Thérèse.
(Skuzez leffott d’art trop podesques)
l’exposition de notre éternel étudiant était à la Galerie Les yeux fertiles (en bas de la rue de Seine),
mais je crains qu’elle ne soit finie.
(je détecte dans votre manière d’écrire un intérêt pour l’entomologie
que peut-être vous n’avez jamais osé vous avouer à vous-même :
ne voudriez-vous pas suivre les cours de notre école,
et vous préparer aux passionnants métiers auxquels ouvre la connaissance des arthropodes ?)
veuillez agréer, chère Madame, l’expression des sentiments distingués d’un humble entomologiste
Émile Patte
(mon prénom n’est pas Vincent,
qui ferait 2000)