Notre service de communication avec les esprits a retrouvé – avec seulement un an de retard – un message de solidarité d’Hokusaï, dont la grande rétrospective du Grand Palais venait de s’achever (message rédigé dans un français impeccable, ce qui tendrait à prouver qu’on peut encore s’instruire dans l’Au-delà). Voici ce que dit le « fou de peinture », qui à 70 ans tenait pour bonnes à jeter les quelques milliers de gravures qu’il avait réalisées jusque là et espérait vivre jusqu’à 110 ans pour atteindre le sommet de son art :
Je suis très affecté par la mort odieuse de mes collègues. Le plus âgé, Wolinski, avait à peine 82 ans ! De mon temps les démons ne s’en prenaient pas aux dessinateurs. Même si nous les faisions encore plus terribles et grotesques que nature. Au contraire, ils en étaient fiers, ces crétins ! À moins qu’ils n’aient eu cette qualité dont vos démons semblent bien manquer et que vous appelez « humour », je crois. D’un autre côté, nous ne voyions pas la bêtise et la folie meurtrière partout, et il ne nous serait pas venu à l’esprit de montrer le shogun ou un samouraï comme des démons : d’abord parce que leur rôle cosmique est de lutter contre eux, et puis ils nous auraient immédiatement montré qu’ils savent eux-aussi faire de la gravure, sur les gens. Mais vous vivez dans un monde très différent de celui que j’ai connu, où il n’y a plus ni shogun ni samouraï, mais un président élu, des députés, des partis politiques, des journaux, plein d’appareils étranges auxquels je ne comprends rien, une très haute tour en métal en guise de Mont Fuji, et le droit ou même le devoir de vous moquer de tout le monde et de tout. Peut-être que dans ce monde un crayon est une arme, mais dans le mien, pour lutter contre les brigands, il valait mieux avoir des armes plus directement efficaces, et savoir s’en servir (voyez ou revoyez le film de mon compatriote Akira Kurosawa, Les sept samouraïs : l’action se passe à l’époque Sengoku, en 1586 de votre calendrier, à peu près deux siècles avant que je ne vienne au monde, mais ce sont pour l’essentiel les mêmes paysages, les mêmes paysans, les mêmes samouraïs que ceux que j’ai dessinés)
Cela fait longtemps que je m’intéresse aux dessins des collaborateurs de Charlie, et j’ai souvent eu l’impression que chacun d’eux, dans un contexte de civilisation et avec des intentions et des moyens artistiques très différents, développait une facette de mon inspiration, et en tirait des œuvres auxquelles je n’aurais jamais pensé parce que pour moi les mille détails du monde visible ou invisible n’étaient jamais séparables du Tout. Moi-aussi, je suis Charlie, bien sûr, mais je crois pouvoir ajouter, en toute modestie, que Charlie, c’est moi …
Bien cordialement
Hokusaï
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Ces propos peuvent surprendre, mais il suffit de feuilleter à nouveau les Cent vues du Mont Fuji et quelques albums de Reiser, Wolinski ou Fredpour se convaincre de leur bien-fondé :
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