Piers Burton-Page a envoyé aux membres du groupe des queniens internetifiés l’information suivante :  » Dans l’hebdomadaire londresien The Times Literary Supplement, édition portant la date d’aujourd’hui le 30 mars 2012, il y a mention (à la page 32) d’une jeune poète anglaise, Valerie Laws, qui a fait récemment imprimer sur le dos de chacun de 14 moutons (vivants) un mot différent. Avec le résultat que tout en circulant sur leur champ particulier, ces mêmes moutons n’ont cessé de créer des haikus (ou bien haik-ewes, horrible calembour en anglais). Exemple donné par le TLS :

Warm Drift, Graze Gentle,
White Below The Sky;
Soft Sheep Mirrors Fields
Snow Clouds Over.

Ne reste alors qu’à découvrir les autres 8 717 829 199 (?) poèmes du même genre. (Aucune mention de RQ dans le dit article.) Voir l’image ci-jointe ainsi que le site www.valerielaws.co.uk/publications/qsheep.html « 

 

mêlée de moutons (par où sortira le haïku ?)

En allant sur le site indiqué, on apprend que cette « action » repose sur le désir de  » faire écho aux principes de la physique quantique » et a débouché sur un livre intitulé Quantum sheep. Je ne suis pas sûr que cette métaphore ovine bénéficie de l’approbation de ceux qui comprennent quelque chose à la physique quantique (ou de ceux – éleveurs, éthologues, ou travailleurs des abattoirs – qui observent le comportement des moutons), mais prise simplement en tant que pièce humoristique, c’est certainement une belle contribution à l’histoire de la poésie  extra-littéraire et volontairement involontaire (à l’éventuelle objection de protecteurs des animaux comme quoi on n’a sans doute pas demandé leur avis à ces pauvres bêtes, on répondra par exemple que ce sera un motif de fierté pour leur descendance de pouvoir dire à qui voudra les entendre que leur ancêtre a travaillé dans la poésie d’avant-garde avant d’être promu méchoui. Hmm : on pourra aussi ne rien répondre).

Si on essaie de traduire l’exemple donné, on constate que la probabilité pour que les moutons mots (enlevez u, o et n de « mouton« , vous avez « mot« , alors que « sheep« , même soumis à un régime sévère, ne donnera jamais « word« ) forment une combinaison sensée est beaucoup plus faible en français qu’en langue  forestière :

Courant chaud Délicate écorchure

Du blanc plus bas que le ciel ;

Doux moutons Miroirs Champs

Nuages de neige au-dessus.

Il y a bientôt deux siècles que Victor Hugo a mis un bonnet rouge au dictionnaire, et les Anglais  restent fidèles à la monarchie, mais en matière d’ordre et de rapports hiérarchiques des mots , ils nous donnent des leçons de démocratie (ou bien, pour le dire d’une manière moins susceptible de fâcher, leur quantisme langouistique est bien supérieur au nôtre – leur kantisme philosophique également, d’ailleurs, si on peut imaginer Kant avec de l’humour).

On compenserait peut-être cette fâcheuse infériorité en écrivant sur les moutons des prénoms (Jules, André, Louis, … avec autant de prénoms féminins, ou Louis I, Louis II, … ), ou des insultes (dont bien sûr « mouton !« ), ou bien « Vous / ne / valez / pas / mieux / que / nous » (ou Nous / au moins / on / ne / regarde / pas / la / télévision). De toutes façons, la probabilité pour que sheep ou moutons adoptent la configuration du haïku est aussi proche du zéro en Angleterre qu’en France (peut-être qu’avec des éléphants ça pourrait marcher, mais des moutons … est-ce qu’on peut dresser des moutons ?)

Cette « oeuvre » (? – dans le monde de l’art contemporain, on appelle ce genre de création un « travail« , ce qui n’est pas du tout approprié au caractère évidemment ludique de la chose ; mon collègue Virel Temrons utilise depuis une quinzaine d’années le néologisme (h)oeuvre, mais il serait excessif de dire qu’il a fait école) m’a fait penser à des actions de Jean-Pierre le Goff avec des fourmis : partant de l’idée selon laquelle  » Tout écrit est voué à disparaître « , il en était venu à essayer de faire manger les lettres d’un mot par des fourmis (et, grâce à l’aide de Christine Errard, myrmécologue, il avait fini par réussir à leur faire écrire le mot « Ants« , fourmi en anglais – pour ceux qui seraient intéressés par ce cycle, il a été rassemblé par Thiéri Foulc dans un mince mais élégant recueil, L’écriture des fourmis, Au crayon qui tue, éditeur, 2003). L’équivalent avec des moutons serait de leur faire brouter les lettres d’un mot pré-dessiné dans la vaste étendue de leur petit-déjeuner – déjeuner – dîner (le mot Sheep, par exemple, ou Mouton si c’est en Angleterre ; Gigot serait une plaisanterie de très mauvais goût).