Lorsqu’on apprend que le viaduc des Fades, dont l’horizontale ignore la Sioule qu’elle surplombe avec un mépris de 132,50 m, a été (et peut-être est encore) le plus haut viaduc d’Europe, on se demande si la banalité de la gare des Fades, où se sont tenues de nombreuses rencontres banalytiques, était vraiment parfaite. Pour parer à cette difficulté, on peut supposer que les banalystes rigoureux évitaient de regarder au-dessus d’eux. Qui y aura été peut-être se souviendra.

Un sommet de banalité qui, tout en restant en Auvergne, aurait pu être choisi comme lieu de solicolloques par les fondateurs de l’unique discipline universitaire essentiellement silencieuse, est le musée des demoiselles Comte, à Marsac. Voici ce qu’en écrivait Alexandre Vialatte, dans un long article superbement intitulé L’Auvergne est un souvenir d’enfance (repris dans L’Auvergne absolue, Julliard 1993)

Ils [les Auvergnats] ont aussi un musée du Néant. C’est à Marsac, où deux vieilles demoiselles se mirent à exposer des choses ; d’abord des bicyclettes fleuries (elles venaient d’en gagner le concours) sur le billard de la salle du café que leur avait légué leur père, qui était hôtelier-armurier. Elles continuèrent par un fusil de chasse, une plaque de garde-champêtre et un livre d’Henri Pourrat. Elles y acquirent la notion de Musée. Elles s’aperçurent que tout objet mis sous vitrine sur un socle en velours grenat, avec une étiquette en ronde, que ce soit une molaire de caniche, un tranchet de cordonnier-poète, ou un père de famille breton du XXe siècle, prend une dignité scientifique, un air de curiosité rare, et pour tout dire la majesté de l’Histoire. Ce qui fait le musée, c’est la vitrine. Elles enrichirent leur collection d’une réclame de fil « Au conscrit », de lacets de corset, et d’une canne-ocarina » sur laquelle un militaire belge avait joué la Marseillaise le 12 Mai 1925. Ensuite tout y passa, leurs assiettes, leurs cuillères, leurs couteaux, leurs jupons, leurs salières, leurs livres de messe. Puis elles moururent : l’une se pendit, tandis que l’autre criait « Au feu ». La survivante légua son musée à la ville ; Qui ne sut qu’en faire, et le laisse visiter. On y découvre avec respect ce qu’on peut voir partout ailleurs. On s’aperçoit qu’on est venu là pour ne rien voir. On y trouve le musée en soi, à l’état pur, pour ainsi dire, dégagé de tous les accessoires qui font l’objet de tous les autres musées ; le musée de Rien, le musée-musée. (Dans deux cents ans, il renseignera l’homme sur les jupons des demoiselles Comte. Il n’est pas dit qu’il n’aura pas de valeur. Ce qui perd le plus au cours des siècles, ce sont les verres, les boutons, tous les objets usuels, parce qu’on les égare ou les casse. Elles apparaîtront alors en véritables précurseurs, créatrices de l’antimusée. Elles auront leur square et leur buste, avec un bas-relief de bicyclettes fleuries.)

Il paraît que le Musée des demoiselles Comte n’est plus visitable. Dommage. On peut s’en consoler en collectionnant soi-même des riens. Les raffinés, avec une certaine dose de perversion,  peuvent  aussi compter les riens censés être des quelque chose qui sont dans les  « vrais  » Musées.