Pour présenter le Couvent dominicain Sainte-Marie de la Tourette, à Eveux-sur-Arbresle, conçu par Le Corbusier (1887 – 1965) en 1953, réalisé de 1954 à 1959 et inauguré en 1960, je ne saurais mieux faire que de recopier ce qu’on trouve sur le site de la Fondation Le Corbusier :

» C’est sous l’impulsion du Révérend Père Couturier (l’un des hommes qui ont provoqué le réveil de l’art sacré en France) que les Dominicains de Lyon ont chargé Le Corbusier de réaliser à Eveux-sur-Arbresle, près de Lyon, le Couvent de la Tourette, en pleine nature, installé dans un petit vallon débouchant de la forêt. Ce problème, dont le programme repose sur les règles de l’Ordre des Dominicains établies au début du XIIIe siècle, implique la présence d’éléments foncièrement humains dans le rituel et dans le dimensionnement des lieux (locaux et circulation). De même que pour la Chapelle de Ronchamp, Le Corbusier trouve un programme d’échelle humaine à échelle humaine. Et c’est son ami le R.-P. Couturier qui, avant sa mort si brutalement intervenue, lui en a expliqué les résonances profondes. Les locaux portent les cent chambres des professeurs et élèves, les salles d’études, la salle de travail et celle de récréation, la bibliothèque, le réfectoire. Puis l’église où les moines agissent seuls (à l’occasion, en présence de quelques fidèles). Enfin les circulations reliant toutes choses et très particulièrement celles qui vont sous une autre forme, réaliser les effets du cloître traditionnel rendu impossible ici par la déclivité du sol. Sur deux étages, des loggias couronnent l’édifice (une pour chaque cellule de moine isolée phoniquement) formant brise-soleil. Les salles d’études, de travail, de récréation, ainsi que la bibliothèque, occupent l’étage au-dessous. Plus bas le réfectoire et le cloître en forme de croix conduisant à l’église.

Et c’est alors la déclivité du sol laissée naturelle, sans terrassement, et d’où s’élèvent les pilotis porteurs des quatre corps de bâtisse du couvent.

L’ossature est de béton brut armé. Les pans de verre situés sur les trois faces extérieures réalisent, pour la première fois, le système dit : « pan de verre ondulatoire » (qui est également appliqué au Secrétariat de Chandigarh). Par contre, dans la cour-jardin du cloître, les fenêtrages sont faits de grands éléments de béton allant de plafond à plancher, perforés d’espaces vitrés et séparés les uns des autres par des « aérateurs »: fentes verticales fermées d’une toile métallique moustiquaire et munies d’un volet pivotant. Les promenoirs du cloître sont clos « d’ondulatoires ». Les corridors conduisant aux cellules d’habitation sont éclairés par une fissure horizontale située sous plafond. Le couvent est « posé » dans la nature sauvage de la forêt et des prairies indépendantes de l’architecture elle-même. Les façades demeureront de béton brut, les quelques remplissages étant peints de chaux blanche. Les murs de l’église seront en « banchage ». A l’intérieur de l’église, les « pointes de diamant » données dans la coupe reproduite ici ne subsisteront pas à l’exécution pour diverses raisons (sauf une ou deux installées en bonne place). La toiture du couvent lui-même, comme celle de l’église, sera recouverte d’une mince couche de terre laissée à l’initiative du vent, des oiseaux, et autres transporteurs de graines assurant une protection étanche et isotherme. (Les toitures de la petite maison du lac Léman, construite depuis trente années, et l’immeuble 24, rue Nungesser et Coli, et de diverses constructions aux Indes, sont ainsi faites.)

Voici de quoi a l’air ce monstre a priori impossible d’un monastère moderniste, par une somptueuse après-midi d’automne :

 

« loggias » : cellules extérieures, ou balcons ?

 

des dominicains vivent ici, mais tout a l’air très vide

 

les fameux pilotis caractéristiques de l’architecture moderne selon L. C.

 

le bleu vient du ciel (sans passer par Bataille)

 

pas de fantaisie dans les corbustructions ?

 

le cloître ?

 

un à la fois

 

chapelle et clocher

 

proue fendant la mer du paysage

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je n’ai pas trop de sympathie a priori pour les dominicains, frères prêcheurs voués à la prédication et à la lutte contre l’hérésie, responsables de l’Inquisition (définie par Voltaire dans son Dictionnaire philosophique comme « une invention admirable et tout à fait chrétienne pour rendre le pape et les moines plus puissants « ) dès sa fondation en 1232, illustrés par des personnalités d’aussi sinistre mémoire que Bernard Gui (1261 – 1331, proche de celui qui apparaît sous le même nom dans Le nom de la rose), Torquemada (1420 – 1498) ou Savonarole (1452 – 1498) [mais Thomas d’Aquin (1228 – 1274), Maître Eckhart (v 1260 – 1327), Fra Angelico (1400 – 1455) ou Campanella (1568 – 1639) étaient aussi des dominicains]

je n’ai pas trop de sympathie non plus pour l’architecture de Le Corbusier, beaucoup trop austère et carrée à mon goût (et ce préjugé négatif s’est encore renforcé depuis que j’ai appris qu’il avait collaboré dans les années 20 et 30 à des revues expressément fascistes, qu’il avait fricoté avec Vichy, et qu’il était nettement hostile aux « juifs »)

bien que je comprenne toujours mieux ceux qui ne supportent plus le bruit du monde et s’en isolent complètement, bien que mes réticences vis-à-vis des religions en général et du christianisme en particulier se soient depuis longtemps atténuées (dix ans dans un pays communiste aident à comprendre définitivement que le fanatisme athée ne vaut pas mieux que les fanatismes religieux pré-modernes), je n’aimerais pas vivre dans ce « couvent » (pourquoi pas monastère, puisqu’il est habité par des moines ?), pas même pour une « retraite », mais il faut reconnaître que c’est artistiquement une réussite – improbable, vue l’inégalité du terrain – qui, avec des formes et des matériaux lourds donne une impression de légèreté, constitue un ensemble très harmonieux, parfaitement intégré dans le paysage, et dont la simplicité de conception et de réalisation s’accorde parfaitement avec ce qu’on peut supposer être l’esprit de tout monastère chrétien