En écho aux considérations curieusement spéculatives du Président Indergand à propos de la phrase modérément énigmatique que Guillaume Apollinaire avait épinglée sur la porte de son appartement, Julien Blaine nous envoie un âne, et une pierre tombale.

L’âne de Guillaume Apollinaire

 

Avec tout ce qu’il mastique :

Bleus chardons et vieilles piques,

Son ancestrale langue épique

N’est plus que bi syllabique

 

C’est dans l’atelier de Pablo Picasso – que Guillaume Apollinaire avait pressenti vers 1906, avant Raoul Dufy, pour  illustrer son Bestiaire -, que cet Âne fut retrouvé, dans l’un des vieux cartons à dessins du maître. On ne connaissait jusqu’alors, gravés par ses soins, que L’Aigle et Le Poussin.

Quand le poète fit paraître dans La Phalange, en juin 1908, quelques blasons d’animaux, il voulut publier au côté du Cheval cet Âne, dessiné par Picasso, mais Dufy s’y opposa. Le graveur voulait illustrer, seul, tous les animaux. Les deux complices ne se mirent au travail qu’en 1910.

Une fois encore il fut question de publier L’âne en 1919 dans Les veillées du Lapin agile, et une fois de plus l’équidé resta à l’écurie et ne put rejoindre ses compagnons : Le Singe et L’Araignée. C’est d’autant plus regrettable que Francis Poulenc voulut la même année mettre en musique ce petit poème, comme il l’avait fait pour Le Dromadaire, La Chèvre du Tibet, La Sauterelle, Le Dauphin, L’Écrevisse et La Carpe.

L’Âne est par conséquent,  à ce jour, toujours inédit, et c’est parmi des brouillons de partition du musicien que j’en ai retrouvé la version originale et ses deux variantes [dans la dernière, au dernier vers, « n’est plus que » a été remplacé par « est devenue« ] jointes par un trombone rouillé, avec une note d’André Billy donnant les précisions que je viens de rapporter,  dans la cave d’un ami – qui tient à garder l’anonymat –, propriétaire d’une chambre de bonne dans le même immeuble au 5 de la rue Médicis à Paris.

Dans le souci de me rapprocher, si ce n’est de sa volonté, de son désir (lettre de Severini – janvier 1914), je reproduis aussi le (drôle de) boeuf de Dufy, et l’âne que le peintre cubiste Serge Férat (1881/1958) avait publié dans Les Soirées de Paris en 1916.

 

 

Serge Férat, 1916

 

 

Raoul Dufy : illustration pour Le Bestiaire, de Guillaume Apollinaire (1911)

 

Ce chérubin dit la louange

Du paradis, où près des anges,

Nous revivrons, mes chers amis

Quand le bon Dieu l’aura permis

 

[« Note » d’Apollinaire à propos de « Ce chérubin » : On distingue parmi les hiérarchies célestes, vouées au service et à la gloire de la divinité, des êtres aux formes inconnues et de la plus surprenante beauté. Les chérubins sont des boeufs ailés, mais aucunement monstrueux. Et à propos de Quand le bon Dieu l’aura permis : Ceux qui s’exercent à la poésie ne recherchent et n’aiment rien autre que la perfection qui est Dieu lui-même. Et cette divine bonté, cette suprême perfection abandonneraient ceux dont la vie n’a eu pour but que de les découvrir et de les glorifier ? Cela paraît impossible, et, à mon sens, les poètes ont le droit d’espèrer après leur mort le bonheur perdurable que procure l’entière connaissance de Dieu, c’est-à-dire de la sublime beauté.]

 

 

Alberto Eugenio Giovanni & R. Ghe […]

 

Au cimetière de Venise, après avoir contemplé l’ange masqué, je suis tombé en arrêt sur la tombe du demi frère de Guillaume Apollinaire (ne pas confondre avec son autre demi frère, Alberto Eugenio Giovanni). La tombe anonyme se situe entre celle de la famille Gasparetto (à gauche) et celle de la famille Tagliapietra
(à droite). La gravure sur la dalle est si effacée qu’illisible désormais. On voit quelque chose comme

R GHE .. i .

R GHE : ça, c’est à peu près certain.
Après on est dans le doute…
Sauf si on connait le nom de l’amant vénitien de la mère de Guillaume, Angelika Kostrowicka, née à Nowogródek dans le grand-duché de Lituanie, la belle aristocrate polonaise, la belle Angelika qui aimait tant les beaux hommes italiens,  : Francesco Flugi, le père de Guillaume, et celui-ci, inhumé à Venise, qui se nommait R.Ghe.

 

(L’intérêt de Julien Blaine pour les animaux, les ânes et les mots remonte au moins à avant-avant-hier Cf http://nouvelles-hybrides.fr/wordpress/?p=3252)